«Ça m'a bouleversé. Parce qu'il y a des gars comme moi qui souffrent.»

L'annonce du suicide d'un quatrième soldat canadien en une semaine a ébranlé Philippe (nom fictif).

Le militaire québécois a déjà fait trois tentatives de suicide depuis qu'il a été posté en Afghanistan, en 2011. La dernière remonte au mois de juin.

L'homme dans la cinquantaine n'arrive plus à travailler et il passe maintenant ses journées dans le sous-sol de sa maison, angoissé et sans énergie.

Au moment où, hier à Ottawa, les politiciens débattaient du soutien accordé aux militaires en proie à la détresse psychologique, Philippe a lancé un cri du coeur, en entrevue à La Presse.

«Il faut dire les affaires pour que ça arrête», a-t-il dit.

Philippe dénonce les lacunes dans les soins qu'il a reçus jusqu'ici des Forces armées et la culture du secret qui entoure les problèmes de maladie mentale.

Selon lui, les militaires ont peur de demander de l'aide, de crainte d'être stigmatisés par leurs collègues et leurs supérieurs. «C'est la honte. La honte d'être malade.»

Et lorsqu'ils décident finalement de se confier, ils se heurtent à un mur de bureaucratie et d'incompréhension: «Quand tu y vas, on dirait qu'ils sont comme dépourvus, ils ne savent pas quoi faire de ça. Ils te regardent, et on dirait qu'ils ne comprennent pas», a-t-il affirmé.

«Ma femme m'a retrouvé deux fois dans le garage. Ça n'est pas rien, ça!»

Programmes existants

Le caporal-chef Sylvain Lelièvre du Royal 22e Régiment, de la base de Valcartier, a été retrouvé sans vie chez lui, plus tôt cette semaine. Le père de famille de 46 ans a participé à des missions en Afghanistan et Bosnie.

Ce quatrième décès tragique en un peu plus d'une semaine au sein des Forces armées canadiennes a fait des vagues jusqu'au Parlement.

À la Chambre des communes, les partis de l'opposition ont questionné le gouvernement sur l'adéquation des soins accordés aux membres des Forces armées avec leurs besoins dans des situations semblables.

Une question du chef de l'opposition Thomas Mulcair sur la fermeture de bureaux du ministère des Anciens Combattants a été accueillie par des cris d'indignation dans les bancs conservateurs.

Le premier ministre Stephen Harper a répondu en transmettant ses condoléances et ses prières aux proches des défunts, insistant sur l'importance «d'encourager ceux et celles qui ont besoin d'aide à chercher une telle aide».

«Il y a plusieurs programmes et services disponibles pour nos militaires et nos anciens combattants, a souligné M. Harper. Il y a le Programme d'aide aux membres des Forces armées canadiennes, le centre des ressources pour les familles des membres, le programme Soutien social aux victimes de stress opérationnel [SSVSO] et le programme En route vers la préparation mentale [RVPM].»

Espoir de changement

Le sénateur Roméo Dallaire, lieutenant-général à la retraite, s'est dit à ce point troublé par les récents incidents et l'arrivée prochaine du 20e anniversaire du génocide du Rwanda qu'il en a perdu le sommeil. Mardi, il s'est endormi au volant et son véhicule a percuté un poteau sur la colline du parlement.

Pour Philippe comme pour le sénateur Dallaire, ces drames sont le reflet d'une réalité douloureuse.

Philippe décrit les soins qu'il a reçus des Forces armées comme une longue série de manques de respect, de professionnalisme et de compassion. Et il estime que ceux qu'il reçoit maintenant dans un hôpital géré par les Anciens Combattants, à sa demande, sont de beaucoup supérieurs.

Il garde par ailleurs espoir que les choses pourront s'améliorer.

«Cette affaire-là, c'est allé me chercher... Là, je parle aujourd'hui», a-t-il lancé.

«C'est important qu'ils voient qu'il y a des lacunes. Pas de couper le cou de personne, mais de voir qu'il y a des lacunes, et qu'il faut qu'ils fassent de leur mieux pour nous aider.»