Trois jours après que des individus ont déversé du sang de porc sur une mosquée de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, plusieurs membres de la communauté musulmane imputent cet événement au débat sur la Charte des valeurs québécoises, qui engendrerait une montée de l'intolérance.

«Une femme de notre association à la recherche d'un emploi a rencontré récemment une directrice de garderie qui annonçait un poste. Quand elle s'est présentée à l'entretien avec son foulard, on lui a répété: ''non, quittez, il n'y a plus de poste, quittez la garderie''», raconte Ahlem Belkheir, vice-présidente de l'Association des femmes algériennes.

Selon elle, Montréal regorge d'histoires de la sorte depuis que le gouvernement de Pauline Marois a fait de la question identitaire une priorité. Inquiète des répercussions qu'aurait l'adoption de la Charte des valeurs québécoises telle que décrite par les médias depuis quelques jours, Mme Belkheir constate que les femmes musulmanes qui ne portent pas le voile défendent le droit des autres de le porter.

«Si le gouvernement interdit le port de signes religieux ostentatoires des postes de la fonction publique, ce sont nos mères, nos cousines et nos soeurs qui seront touchées. Même si on ne porte pas le voile, on est visées», explique-t-elle.

Une bataille juridique

Le Conseil musulman de Montréal (CMM) annonce déjà ses couleurs: la nouvelle charte sera contestée devant les tribunaux. Des rencontres avec un grand cabinet de Montréal sont prévues afin de préparer une stratégie juridique.

«La charte des valeurs québécoises est décrite comme une pièce législative pour protéger l'égalité homme-femme, mais elle aura l'effet inverse. Des femmes musulmanes qui portent le voile ne l'enlèveront pas. La loi les empêchera de travailler», affirme d'une voix colérique et d'un ton exaspéré Salam El-Menyawi, président du CMM.

«Depuis que le débat est médiatisé, des femmes musulmanes me disent être interpellées ou violentées verbalement sur la rue par des [Québécois de souche] plus souvent qu'avant. Ce n'est pas une charte des valeurs, mais une charte de l'intolérance», dit M. El-Menyawi.

Selon lui, le vandalisme sur la mosquée du Saguenay pourrait se répéter sur des institutions musulmanes montréalaises. Il soutient que le projet de Charte des valeurs attise les animosités «entre les Québécois de souches et les musulmans».

Un geste isolé commis par «des imbéciles»

Selon Stéphane Bédard, ministre responsable de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et président du Conseil du Trésor, il ne faut pas faire de lien entre le déversement de sang de porc sur une mosquée de sa région et les débats entourant une charte des valeurs québécoises.

«Nous parlons ici d'imbéciles en mal de sensations. Ce qu'ils ont fait est totalement condamnable et on ne peut pas tolérer ça dans notre société, explique M. Bédard. On ne sera jamais à l'abri d'imbéciles, mais il s'agit d'un geste isolé dans une communauté réputée pour son accueil et sa tolérance.»

Informé par La Presse du fait que certains membres de la communauté musulmane sont inquiets des réactions que semble engendrer le projet de loi de son gouvernement, le ministre Bédard a expliqué qu'il considérait comme peu probable que de la violence émane des débats.

«Lorsqu'on débat, on le fera comme nous l'avons toujours fait, c'est-à-dire en ayant une attitude sereine. On parle ici de valeurs québécoises et dans ces valeurs, il y a justement la tolérance», a dit M. Bédard.

Pour la Marocaine Samira Laouni, présidente fondatrice de l'organisme Communication, ouverture et rapprochement interculturel, les Québécois «sont des gens ouverts» et les tristes événements du week-end dernier à Saguenay «ont été perpétrés par des gens fous qui ont des problèmes mentaux».

Toutefois, nuance-t-elle, ces gestes sont provoqués par le débat identitaire qui, s'il n'est pas contrôlé, mène rapidement à des débordements.

«Nous remarquons que ça prend de l'ampleur et que le tout devient une polémique, même si personne n'a encore lu les détails de la Charte que proposera le gouvernement Marois. Le problème demeure que les valeurs ne se légifèrent pas», conclut Mme Laouni.

Ce qu'ils ont dit...

«Imbéciles», «extrêmes» ou «stupides», les politiciens n'ont pas manqué de qualificatifs pour décrire les actes de vandalisme qui ont été commis sur une mosquée de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean au cours du week-end. Voici quelques réactions de la classe politique.

«Dès qu'il y a des débats qui s'annoncent chauds dans une société, il y a des gens qui posent des gestes extrêmes. Je pense qu'il faut les dénoncer et passer à autre chose, car le vrai débat se fera beaucoup plus sereinement.»

- Marie Malavoy, ministre de l'Éducation

«Je dénonce ce type d'action, mais rappelons que le projet de la charte n'a toujours pas été déposé et que les Québécois veulent des précisions, ce que nous ferons.»

- Pierre Duchesne, ministre de l'Enseignement supérieur

«La police enquête et j'espère sincèrement que ceux à l'origine de ces actes de vandalisme seront retrouvés et arrêtés.»

- Stéphane Bédard, ministre responsable de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean 

«Au Québec, toute forme de violence doit être rejetée.

Je condamne vigoureusement ce geste.»

- Bernard Drainville, président du comité ministériel responsable de la charte des valeurs québécoises

«Ce n'est pas la mentalité des gens de la région. C'est un acte isolé et stupide. Je ne peux pas penser qu'il y a des gens qui pensent comme ça. Ça ne prend qu'un ou deux stupides pour faire des actes comme ça.»

- Jean Tremblay, maire de Saguenay

- Hugo Pilon-Larose et Annabelle Blais avec La Presse Canadienne