Quand il a aperçu un convoi de 100 véhicules regagner Chisasibi depuis la route de la Baie-James, hier midi, Larry House n'a pas été aussi soulagé que les autres. À ses yeux, la Société de développement de la Baie-James et la Sûreté du Québec n'avaient pas seulement ouvert le passage à un groupe coincé au sud du 274e kilomètre en raison des incendies de forêt; ils avaient surtout démontré une fois de plus le contrôle qu'ils exercent sur le territoire des Cris.

«Quand on veut prouver qu'on occupe un territoire, quand on veut établir notre autorité, on s'arrange pour le contrôler», laisse tomber l'homme, qui a passé toute sa vie à Chisasibi.

Comme lui, plusieurs résidants de la communauté crie installée sur la rive de la baie James laissent paraître de la méfiance quand ils évoquent les choix des autorités. «La route n'est pas si mal», «il n'y a même plus de fumée», répètent les uns et les autres, croisés au «centre-ville» de Chisasibi - en fait un centre commercial comprenant trois magasins.

Pourtant, une cinquantaine de feux font toujours rage au nord du 49e parallèle. Quelque 590 pompiers forestiers sont à l'oeuvre, appuyés par 14 avions-citernes et 65 hélicoptères. Du renfort venu de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan est également arrivé hier soir.

»L'approche coloniale»

«Le contrôle de la route, c'est symptomatique de la situation dans son ensemble, de l'approche coloniale», analyse Larry House, sous le regard approbateur d'une amie. Pour lui, pas de doute: le passage de petits convois à des heures précises seulement est un geste «politique» qui sert à affirmer l'emprise du gouvernement sur le secteur.

En 1975, rappelons-le, le gouvernement du Québec a ratifié avec les Cris et les Inuits du Nord-du-Québec la Convention de la Baie-James. En échange de l'autonomie politique et administrative, les Cris ont notamment renoncé à leurs droits ancestraux sur les terres et les rivières qui sont aujourd'hui exploitées pour produire de l'électricité.

«Mais nous, les Premières Nations, on reste toujours des sujets de second rang», croit Larry House. «Et puis, il est temps qu'on se réveille. La Loi sur les mines est trop permissive, les politiques de développement des ressources ne tiennent pas compte du savoir-faire traditionnel. La nature nous envoie un message», ajoute-t-il, en mentionnant les inondations qui éprouvent l'Alberta et en montrant du doigt l'exploitation des sables bitumineux.

Chasse perturbée

Un Québec, deux réalités, croient Larry Lamb et d'autres, mais également Jules Quachegan, officier de la sécurité publique à Chisasibi. «Il y a des gens qui ont perdu leurs camps de chasse et de pêche ou encore leurs motoneiges dans les feux», observe-t-il. «Ils ont réellement tout perdu, parce que les compagnies d'assurance du Sud refusent de les assurer, disant qu'ils sont trop loin. Moi, j'ai des assurances pour ma voiture, mais on me demande le gros prix, parce qu'on considère que je suis toujours en 4X4 dans la forêt.» Son ami, il le sait, aura de la difficulté à se remettre d'un récent accident qui a endommagé sa voiture. «Avec le feu, les animaux se réfugient où ils le peuvent, notamment sur la route de la Baie-James. Mon ami a frappé un orignal; une autre personne aussi.»

Autre impact collatéral: les animaux qui ne se sont pas dirigés vers la route ont plutôt fui vers le nord ou péri dans les flammes, croit Reggie Bearskin, de l'Association des trappeurs cris. «Les petits animaux qu'on trappe sont probablement morts. Les plus gros ont réussi à se sauver, mais ça prendra des années avant qu'ils reviennent sur le territoire», dit-il. «La saison de la chasse sera très différente.»