À compter de lundi prochain, la Commission de la construction du Québec (CCQ) exercera des recours légaux contre les travailleurs sur les chantiers sans certificat de compétence ainsi que les entreprises qui les emploient. Il s'agit d'un virage intimement lié à la lutte contre l'évasion fiscale qui devrait rapporter 30 millions par année au gouvernement.

Après plus de vingt ans de laxisme, la Commission de la construction du Québec a décidé d'appliquer la loi. La PDG Diane Lemieux veut ainsi corriger l'ADN de l'industrie en l'obligeant à jouer franc jeu.

En entrevue à La Presse, Mme Lemieux ne laisse aucune place à l'interprétation. Le délai de quelques mois dont bénéficiaient jusque-là les travailleurs et les employeurs pour régulariser leur statut est chose du passé. Il n'y a plus de deuxième chance.

Dorénavant, le constat d'une infraction entraînera automatiquement un dossier pénal. Comme le prévoit la loi, des amendes pouvant atteindre 425$ seront imposées aux travailleurs fautifs alors que les employeurs responsables pourraient devoir payer jusqu'à 1700$. S'il y avait une récidive, le travailleur pourrait subir une suspension de son droit d'obtenir un certificat de compétence pour une période de trois mois.

«Quand on est dans une période où ça tire partout, il faut revenir au jeu de base. [...] On va protéger ceux qui suivent les règles du jeu. Les autres, on va les suivre, on va les cibler et on va les prendre», tranche Diane Lemieux.

Bon an mal an, la CCQ traite 15 000 dossiers concernant la non-détention de certificat de compétence. De ce nombre, 10 000 cas restent sans recours parce que, de «façon prévisible», comme le souligne Mme Lemieux, les salariés et employeurs savent qu'ils avaient une période tampon pour se conformer aux règles.

Cette tolérance est héritée des années 90, alors que l'industrie de la construction connaissait un ralentissement important. La stratégie consistait alors à accorder entre 60 et 75 jours aux travailleurs pour se procurer un certificat de compétence. La CCQ constate que l'arbre a donné ses fruits, mais que maintenant, un effet pervers s'est installé.

«Un travailleur sans carte, c'est un travailleur qui n'existe pas. Donc, il peut être payé comptant», souligne Mme Lemieux, qui ajoute: «C'est le début du cycle de tous les stratagèmes. Essayez de faire de la fausse facturation avec un travailleur qui a une carte de compétence, c'est plus compliqué!»

Récupération fiscale

L'application de la loi à compter de lundi prochain aura au moins deux impacts en termes d'argent. Le volume des infractions atterrira dans le fonds consolidé du Québec. Diane Lemieux se défend toutefois de mettre en place «une machine à tickets». Selon elle, le véritable défi en est un de conformité.

De plus, le virage devrait permettre une récupération fiscale importante pour le gouvernement. La CCQ calcule qu'une heure travaillée dans l'industrie de la construction équivaut à 10$ de taxes et d'impôt. En restreignant les possibilités de travailler sans certificat de compétence sur les chantiers de construction, la CCQ estime que le gouvernement pourra récupérer 30 millions par année. «Ça, c'est de l'argent sonnant», soutient Mme Lemieux.

Selon elle, la CCQ a atteint un certain plafond, notamment à cause des méthodes d'enquêtes en place que tous les partenaires, syndicaux et patronaux connaissaient parfaitement. Avec l'embauche, il y a deux ans, de l'ex-policier Jean-Guy Gagnon, c'est un changement radical qui a été amorcé au sein de la CCQ, souligne Mme Lemieux.

«Là, il faut scorer, il faut cibler, il faut réussir, il faut augmenter les résultats, parce que l'industrie est actuellement vulnérable. Sa probité est attaquée», souligne la PDG, qui croit devoir éliminer le «mauvais pli» qu'a pris la CCQ.

Ce combat se fera toutefois sans ressources supplémentaires. Selon Jean-Guy Gagnon, qui orchestre les changements, il est possible de recréer un climat de concurrence loyale sans augmenter les effectifs. «Il y a lieu d'adapter certains outils d'enquête pour rendre plus efficace la lutte à l'évasion fiscale, estime M. Gagnon. On est dans un moment propice dans l'industrie de la construction pour changer les choses», ajoute-t-il.