Un verre de trop, un mot de trop, un geste de trop peut-être... Pour avoir eu une conduite jugée indigne d'un président de centrale syndicale, le patron de la CSN, Louis Roy, a été forcé de démissionner par son bureau, mercredi.

Cela met un point final à une partie de bras de fer qui durait depuis deux semaines dans les coulisses de la CSN. Pour lui, personne n'a exigé son départ, mais certains membres du bureau demandaient qu'il soit «suspendu», la punition suprême dans les règles internes de la centrale.

«Je n'ai rien fait de répréhensible, il n'y a de plainte contre moi nulle part», a soutenu le syndicaliste dans une entrevue avec La Presse, hier. Il aurait préféré pouvoir s'expliquer publiquement sans contrainte, «mettre tout sur la table, sacrament... pour nettoyer l'affaire». Mais la centrale a tenu à ce que tout ce litige, y compris son règlement, fasse l'objet d'une entente de confidentialité. «Je suis pris dans une situation où les rumeurs sont plus importantes que la réalité», lance-t-il.

Il y a eu plusieurs témoignages de sympathie à son endroit, hier: «Il était un bon porte-parole pour la CSN», a dit Marc Laviolette, qui avait battu M. Roy à la présidence en 1999. Réjean Parent, ex-président de la CSD, a aussi rendu hommage à ce frère d'armes, qu'il a côtoyé dans de nombreuses luttes lors des négociations du secteur public avec Québec.

M. Roy était devenu président en mai 2011 après le départ à la retraite de Claudette Carbonneau. Issu du secteur public, il était auparavant président de la Fédération des employés de la santé et des services sociaux. Louis Roy avait amorcé son engagement syndical en 1975 au CLSC Hochelaga-Maisonneuve.

Il a démissionné parce que, pour présider la CSN, «il faut une certaine sérénité, sentir que les gens vous reconnaissent une certaine crédibilité. J'ai estimé que continuer à faire la job, c'était mettre en péril la CSN», a-t-il expliqué à La Presse.

C'est le premier vice-président Jacques Létourneau qui le remplace au pied levé. «Le lien de confiance était brisé entre la présidence et l'exécutif», s'est-il contenté de dire lors d'un point de presse à Montréal. «C'est une accusation lourde», réplique M. Roy, qui souligne que, à son avis, il y aurait eu des issues à cette crise.

Une soirée à Jouvence

Hier, M. Roy s'est montré étonné que La Presse ait eu accès à de l'information qui devait rester confidentielle en vertu de l'entente qu'il avait conclue en matinée avec le bureau syndical. Unanimement, la direction avait demandé son départ immédiat. Il a finalement abdiqué tôt en matinée, hier, avant que la question soit soumise au Conseil confédéral, l'instance suprême de la CSN entre les congrès.

Selon nos sources, en août dernier, la CSN avait comme chaque été organisé une «formation-soleil» à la base de plein air Jouvence, dans les Cantons-de-l'Est. S'y trouvaient 16 aspirants délégués syndicaux, des «jeunes» de moins de 30 ans, ainsi que les 6 membres du comité jeunes de la centrale. M. Roy y participait avec Jean Lortie, le secrétaire de la centrale. En soirée, M. Lortie est parti, mais M. Roy s'est attardé pour prendre un verre avec les syndiqués. La soirée s'est prolongée.

À un moment donné, un membre du groupe a décidé d'éventrer l'armoire verrouillée où les préposés rangeaient l'alcool. M. Roy a personnellement payé la facture par la suite - un peu moins de 400$. L'enquête a démontré qu'il n'avait pas lui-même forcé l'armoire, mais certains membres de la CSN estiment que, par sa présence, il a cautionné le méfait.

Mais durant cette soirée, tout le monde a un peu dérapé. Il y a eu des propos et des gestes qui, sans avoir de portée criminelle, ne correspondent pas à ce qui est attendu d'un président de centrale, explique-t-on. M. Roy refuse de commenter l'affaire: «Je ne sais pas ce qu'on veut dire par là. Qu'est-ce qui est déplacé? Si vous trouvez un code de conduite écrit, j'aimerais l'avoir!», a-t-il dit.

«Il n'a pas eu crime. Il y a des gens qui ont fait une interprétation de choses qui se sont passées. J'ai réellement soutenu une jeune femme en crise pour l'amener vers sa chambre, mais de là à dire que je l'ai tripotée... Que des gens aient pensé que ce soit cela, je peux comprendre, mais je ne peux l'admettre par ailleurs», a-t-il dit. La jeune femme «avait bu, c'est clair, mais ce n'était pas sa seule source de détresse. Elle était perturbée, désorientée, j'ai voulu soutenir cette personne, la raccompagner à sa chambre, et des gens ont pensé que je voulais profiter de la situation, ce que je nie complètement», a soutenu M. Roy.

«Il faut que j'assume la perception des gens parce que certains considèrent que les ragots sont plus importants que ce que dit le président de la CSN. Pour faire la lumière sur cette question alors qu'il n'y a pas de plainte de déposée, il faudrait que, comme individu, je poursuive des membres de la CSN en diffamation pour ce qu'ils ont véhiculé.»

Une plainte a été portée à la direction de la centrale, qui a demandé à un avocat de Montréal, Serge Brault, de faire enquête. Son rapport est tombé le 18 septembre et a déclenché une série de réunions tendues entre le bureau de direction et M. Roy. Ce dernier a accepté de se retirer des réunions à certains moments. «Peut-être n'aurais-je pas dû», dit-il aujourd'hui. Il est convaincu toutefois qu'il n'est pas victime d'une vendetta de la part de membres de la direction.

Surpris que La Presse l'interroge sur le rapport d'enquête, M. Roy a souligné hier que

Me Brault s'était contenté de colliger des témoignages, que son travail n'était pas une enquête au sens juridique du terme. L'avocat n'a pas fait de contre-interrogatoire, pas relevé les déclarations des témoins qui auraient pu paraître contradictoires. «C'est une accumulation de points de vue sur ce qui s'est passé ce soir-là», résume M. Roy, qui ne souhaite pas que ce rapport soit rendu public. «Ce n'est pas une enquête en bonne et due forme», explique-t-il. Les témoins ont prêté serment avant de faire leur déclaration, a-t-on appris par ailleurs.

«On m'a demandé de ne pas révéler le nom de l'enquêteur, il a été choisi par la direction de la CSN», a-t-il dit. Il n'a pas le rapport, mais on lui en a fait la lecture.