Pour contrer les effets du vieillissement de la population canadienne et assurer la prospérité économique du pays, le gouvernement fédéral doit plus que jamais se tourner vers les communautés autochtones.

La population autochtone s'élève à plus d'un million de personnes et son taux de croissance est deux fois supérieur à celui de l'ensemble de la population canadienne. En outre, plus de 50% de la population des Premières Nations aura moins de 25 ans d'ici à 2020.

Des documents internes du gouvernement fédéral que La Presse a obtenus soutiennent qu'il est dans l'intérêt supérieur du pays d'assurer une participation accrue des communautés autochtones à l'économie. Les experts le disent aussi. Les leaders des Premières Nations, eux, le réclament depuis longtemps.

Mais pour y arriver, il faut s'attaquer à un problème de taille: l'accès des Autochtones à une éducation de qualité. Selon un récent rapport de l'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser, l'écart relatif en matière de scolarité entre les Premières Nations vivant dans les réserves et la population en général s'est creusé au cours des dernières années.

Ce fossé qui se creuse condamne une proportion grandissante de communautés autochtones à la pauvreté.

Les statistiques sont ahurissantes: 60% des élèves autochtones vivant sur les réserves abandonnent leurs études secondaires. Le taux de décrochage est aussi désolant dans le cas des Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves; 43% d'entre eux ne terminent pas leurs études secondaires. Dans le reste de la population canadienne, le taux de décrochage oscille autour de 9,5%.

Le gouvernement fédéral est responsable de l'éducation sur les réserves. Mais bon nombre de ces écoles sont dans un état lamentable, dépourvues d'équipements modernes et souvent sans chauffage adéquat, tandis que les professeurs sont sous-payés.

Dans un rapport publié en 2009, le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a affirmé que seulement 49% des écoles sur les réserves étaient dans un état acceptable.

Selon un autre rapport publié en octobre par la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations, certaines écoles sont infestées de rats ou de serpents ou sont contaminées par des champignons.

La directrice de cet organisme, Cindy Blackstock, affirme qu'Ottawa consacre en moyenne 3000$ de moins par enfant pour l'éducation des Autochtones que les provinces pour les élèves dont elles ont la responsabilité.

Quand on voit les conditions lamentables des écoles et que l'on constate qu'elles n'ont pas les équipements de base, il ne faut pas s'étonner de voir plusieurs élèves perdre espoir et décrocher aussi tôt qu'en cinquième année», affirme Mme Blacstock dans son rapport remis aux Nations unies le 24 octobre.

Les statistiques en matière de diplômes universitaires sont encore plus désolantes. Seulement 7% des Autochtones des Premières Nations, 9% des Métis et 4% des Inuits détiennent un diplôme universitaire. Des chiffres inférieurs au taux de scolarisation universitaire de 23% chez les Canadiens non autochtones.

Selon l'ancien premier ministre Paul Martin, qui mène une croisade nationale depuis son retrait de la vie politique, en 2006, pour soutenir et créer des programmes d'éducation taillés sur mesure pour les communautés autochtones, améliorer le sort des Premières Nations n'est plus seulement une question de moralité. C'est aussi une question économique.

D'autant plus que d'autres statistiques sont tout aussi choquantes: le taux de suicide est deux fois plus élevé chez les peuples autochtones que chez les autres Canadiens. De plus, 22% des personnes incarcérées dans les prisons canadiennes sont des adultes d'origine autochtone, alors qu'ils ne représentent que 3% de la population canadienne.

C'est une question de moralité. Lorsqu'un segment de la population souffre de tous les indicateurs néfastes, que ce soit la mortalité infantile, l'espérance de vie plus courte, l'incarcération, le décrochage scolaire, en comparaison avec les autres Canadiens, il faut se poser la question: pourquoi, et que fait-on pour corriger cette situation?», a déclaré Paul Martin à La Presse.

C'est aussi une question économique. Nous sommes 34 millions de personnes et nous sommes en concurrence avec des pays qui dépassent le milliard d'habitants. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un seul talent», ajoute-t-il.

Les coûts sociaux et économiques sont énormes. Une étude réalisée par le Centre d'étude des niveaux de vie en 2010 a démontré que l'élimination de l'écart dans le domaine de l'éducation permettrait au gouvernement fédéral d'économiser 1,9 milliard de dollars par année à partir de 2026.

Le gouvernement Harper reconnaît aussi qu'il s'agit d'un enjeu crucial pour l'avenir du pays.

La contribution des Autochtones sera importante à notre prospérité. Des mesures concertées sont nécessaires pour surmonter les obstacles qui entravent la participation socio-économique de nombreux Autochtones», peut-on lire dans le discours du Trône du gouvernement, présenté en juin.

Dans une note d'information rédigée à l'intention du ministre des Affaires intergouvernementales, Peter Penashue - lui-même d'origine innue -, on décrit l'urgence de s'attaquer à l'écart grandissant qui existe entre les peuples autochtones et le reste de la population canadienne.

La nouvelle main-d'oeuvre est essentielle à la relance et à la croissance économique. D'une façon générale, la population canadienne est vieillissante, ce qui n'est toutefois pas le cas chez les Autochtones, où les jeunes sont très nombreux et pourraient participer plus activement à l'économie du pays», peut-on lire dans cette note datée de mai dernier.

Le gouvernement Harper compte un nombre record de députés autochtones - le ministre Peter Penashue et la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, Shelly Glover, Rod Bruinooge et Rob Clarke. Certains croyaient que l'élection d'un plus grand nombre d'élus autochtones permettrait de traiter leurs dossiers avec plus de détermination.

Mais c'est ce même gouvernement qui a déchiré l'Accord de Kelowna et qui tarde à investir les sommes nécessaires pour corriger cette situation dénoncée sporadiquement par les Nations unies. L'Accord de Kelowna, signé en novembre 2005 par le gouvernement libéral de Paul Martin, avant sa chute aux Communes, avec l'accord des provinces et des chefs des Premières Nations, prévoyait des investissements de 5 milliards de dollars en 10 ans dans les communautés autochtones, dont 1,8 milliard pour l'éducation, 1,6 milliard pour le logement et l'accès à l'eau potable et 1,3 milliard pour améliorer les soins de santé.

Le gouvernement Harper a remplacé cet accord par des investissements ponctuels visant notamment à améliorer l'accès à l'eau potable.

L'actuel ministre des Affaires autochtones, John Duncan, reconnaît que d'autres investissements sont nécessaires pour rénover des écoles dans les réserves. Mais il soutient que les dernières écoles construites par Ottawa sont d'aussi bonne qualité que celles financées par les provinces.

Dans son budget de 2010, le ministre des Finances, Jim Flaherty, a affirmé la volonté d'Ottawa d'accroître le nombre d'Autochtones qui terminent leurs études. Mais il n'a avancé aucune somme précise.

Il est essentiel d'investir dans l'éducation et dans d'autres secteurs clés. [...] Nous avons la population qui croît le plus rapidement au Canada et nous aurons énormément à offrir dans l'avenir en matière de main-d'oeuvre. Aussi, nos terres se trouvent à proximité de la plupart des projets d'exploitation des ressources naturelles envisagés pour les 10 à 15 prochaines années», a soutenu Richard Jock, directeur général de l'Assemblée des Premières Nations, devant le comité des finances des Communes, le 1er novembre dernier.

- Avec William Leclerc