Tremblement de terre en Haïti, tsunami en Asie du Sud-Est, fondations de recherche ou d'aide aux malades, lutte contre la pauvreté: les Québécois sont constamment interpellés de toutes parts et ils répondent très souvent présent. Mais comment s'assurer que l'argent serve bel et bien les causes et les gens que l'on veut aider? Les ONG sont tenues légalement à un minimum de transparence, mais il est encore extrêmement difficile d'en savoir plus et de déchiffrer dans le détail les rapports financiers disponibles. La Presse a suivi au cours des derniers mois les péripéties d'un comptable tenace qui ne se contente pas de quelques colonnes de chiffres. Résumé du laborieux et frustrant parcours d'un combattant de la transparence.

Un jour de septembre dernier, après des mois de requêtes infructueuses auprès d'Amnistie internationale (section québécoise), le comptable Normand Calvé a finalement eu un long entretien téléphonique avec le trésorier de l'ONG, Bernard Meloche.

Il croyait être sur la bonne voie pour obtenir enfin les informations qu'il cherchait en vain dans les rapports financiers d'Amnistie. Il venait même d'envoyer un courriel au trésorier pour le remercier de sa disponibilité lorsqu'il a reçu, par erreur, ce courriel:

Salut Béa,

Faudra lui travailler une belle petite réponse politically correct du style: «Nous sommes parfaitement transparent et nous sommes tout à fait disposés à divulguer et partager certains détails de nos opérations mais compte tenu de la charge de travail de tous et de nos ressources limités, nous sommes disposés à le faire dans le cadre d'une démarche sérieuse avec des donateurs potentiels qui veulent bien se présenter à nous et nous faire part de leurs intentions et de leurs volontés. Autrement, l'organisme n'est pas tout à fait intéressé à ce stade-ci à participer à ce qui nous est perçu comme étant plutôt une étude de marché ou une analyse de la transparence du secteur des OBNL. Blablabla.»

Qu'en dis-tu?

Me Bernard Meloche, LL.B., MBA, Pl. Fin.

En fait, ce courriel était adressé à Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale au Québec, qui avait demandé à son trésorier de parler à ce comptable un peu trop insistant qui les bombardait de questions depuis des mois.

Insistant, Normand Calvé l'est très certainement. Ce n'est pas le genre de comptable professionnel à se contenter de belles colonnes de chiffres bien alignées et qui, en apparence, «arrivent» et donnent toute l'information sur les activités d'une ONG.

M. Calvé a commencé à s'intéresser aux rapports financiers de différentes ONG parce que certains de ses clients cherchaient à contribuer à des actions humanitaires, soit en donnant à des organisations existantes, soit en créant une fondation distincte.

Il a rapidement compris qu'il dérangeait. Et cela l'a profondément dérangé lui-même.

«Sur l'internet, on trouve de beaux tableaux, avec des tartes de répartition des dépenses et des revenus. Ça semble bien beau pour le commun des mortels, mais combien va vraiment aux gens pour qui on donne?», demande M. Calvé, qui est débarqué un jour à La Presse avec une pile de documents et d'échanges par courriel.

Déçu par ce qu'il qualifie de manque de transparence chronique dans les ONG, Normand Calvé a décidé, lui, de circonscrire davantage les ONG bénéficiaires. Il prend soin toutefois de préciser que tout n'est pas si opaque dans le monde des ONG, qu'il a pu obtenir facilement réponse à ses questions auprès, notamment, d'Opération Enfant Soleil ou du CECI.

«Il y a beaucoup d'émotion dans le fait de donner, reprend-il. Prenez Haïti, par exemple. Ils veulent aider et ils n'ont pas le temps de vérifier. Je ne les blâme pas, mais ils ne s'imaginent pas que c'est si pire que ça.»

Chez Amnistie internationale, Normand Calvé a obtenu un certain nombre de réponses (sur l'augmentation des salaires, notamment), mais l'huître s'est refermée lorsqu'il a demandé des détails sur certains postes, tels «projets spéciaux» ou «honoraires professionnels». Pas plus de résultats lorsqu'il a demandé à connaître les catégories d'emplois dont les salaires grugent une bonne partie du budget d'exploitation.

M. Calvé a toutefois reçu, on s'en doute, un courriel d'excuses du trésorier, visiblement embarrassé d'avoir envoyé par erreur un mémo adressé à la directrice générale.

Le trésorier affirmait que son organisme n'avait rien à cacher, ajoutant toutefois qu'il n'était prêt à partager les renseignements demandés qu'en échange d'un engagement sérieux de futurs donateurs.

«Autrement dit, paie et on te donnera peut-être l'information après, s'insurge Normand Calvé. L'ONG recueille des dons du public et devient par le fait même redevable envers ses donateurs au même titre qu'une entreprise en Bourse. Ici, contrairement aux actionnaires qui exigent un rendement financier, les donateurs n'exigent rien en retour, sauf un «maximum de bien» pour les personnes aidées.»

Embarrassée par le courriel du trésorier du conseil d'administration, la directrice générale d'Amnistie internationale avoue qu'il s'agit d'un «faux pas», mais elle rejette catégoriquement les reproches de manque de transparence.

«Nous avons été extrêmement transparents, nous n'avons jamais vu quelqu'un poser autant de questions, mais lui-même n'était pas très transparent, son mandat était obscur», réplique Béatrice Vaugrante.

Selon Mme Vaugrante, le comptable Calvé a une approche du monde des affaires qui ne s'applique pas aux ONG.

Une méfiance injustifiée

Pendant toute la durée de ses démarches, Normand Calvé a senti la même méfiance, presque de la paranoïa par moments, comme s'il était en train de faire de l'espionnage industriel.

«Ces groupes sont peut-être en concurrence les uns contre les autres, mais ils auraient tout intérêt à se montrer plus transparents, dit-il. Après tout, ce sont eux qui demandent notre argent, pas l'inverse!»

Après plusieurs démarches infructueuses auprès de la branche québécoise de la Société canadienne de la sclérose en plaques, M. Calvé a reçu un courriel l'avisant sèchement qu'aucun renseignement ne lui serait fourni quant à un poste de dépenses de 28 millions (il cherchait la ventilation de cette somme) couvrant les activités de financement. Cela représenterait une surcharge de travail pour notre administration et, ajoute la direction de la Société de la SP, «nous avons pour principe de nous montrer prudents en ce qui concerne l'affectation de nos fonds à des tâches administratives».

La Société de la SP affirmait en outre que ces rapports financiers avaient été vérifiés par une firme extérieure et que tout était en règle.

Cette réponse, évidemment, n'a pas convaincu notre comptable.

«Les vérifications comptables, ça ne dit pas tout. Les vérificateurs vérifient les chiffres, pas les intentions, ils ne font que vérifier les chiffres qu'on leur présente.»

Selon M. Calvé, la présentation des chiffres dénature certains faits, comme les dépenses réelles de recherche ou de service à la clientèle.

Comme chez Amnistie internationale, la direction de la Société de la SP remettait en question la démarche de M. Calvé. «Nous avons noté une évolution dans les raisons que vous avez évoquées pour obtenir des informations détaillées au sujet de notre organisme, lui a écrit en juillet le directeur général, Louis Adam. [...] Ces différentes raisons nous ont laissés quelque peu perplexes.» Manifestement, les questions du tenace comptable dérangeaient sérieusement.

Que ce soit auprès d'Amnistie internationale, de la Société canadienne de la sclérose en plaques ou d'autres ONG où il a aussi frappé, Normand Calvé affirme n'avoir jamais caché ses motifs: obtenir plus de renseignements financiers pour faire une analyse adéquate à la demande de ses clients. Il a fouillé pendant plus d'un an, il a perdu patience devant le manque de transparence et il a décidé d'entrer en contact avec La Presse.

«De toute façon, peu importe pour qui ou pourquoi je demande des infos, ils devraient les donner, ce serait à leur avantage et à l'avantage de tout le monde, dit M. Calvé. Le problème, ce n'est pas la personne qui demande des informations financières, c'est que ces infos ne sont pas disponibles.»

Pour joindre notre chroniqueur: vmarissal@lapresse.ca