Russell Williams a amorcé l'année 2010 en tant que colonel décoré et officier en charge de la plus grande base militaire au pays, une étoile montante de la constellation militaire en voie d'atteindre les plus hauts rangs de sa profession.

Avant la fin de l'année, il était devenu un paria, un violeur et meurtrier avoué maintenant emprisonné dans l'une des prisons les plus célèbres du pays. Son uniforme a même été saisi puis brûlé par des Forces canadiennes qui veulent effacer toute trace de son passage parmi elles.

La sombre déchéance du militaire - racontée en détails devant la justice -s'est révélée être un drame qui a choqué le pays, dominé les manchettes et fait trembler les fondations mêmes des Forces canadiennes.

Il s'agissait d'une trahison si grave et marquante que l'ancien officier et meurtrier est la personnalité ayant le plus marqué l'actualité en 2010, selon un sondage annuel de La Presse Canadienne effectué auprès des médias du pays.

Certains pourraient protester contre ce choix, mais il s'agit d'une «question journalistique, pas d'une récompense», a plaidé April Lindgren, une journaliste d'expérience qui enseigne le métier à l'Université Ryerson, à Toronto.

«Les gens doivent comprendre qu'il n'a pas été choisi personnalité ayant le plus marqué l'actualité en 2010 parce qu'il est un brave homme», a-t-elle expliqué.

«Il a été choisi en raison de l'intensité de sa cruauté et du nombre de nouvelles sur son destin.»

Dans la longue histoire des sondages menés par La Presse Canadienne auprès des salles de presse, les criminels ne se sont habituellement pas attiré beaucoup de votes de la part de ceux dont le métier est de choisir la couverture journalistique d'un média. Des meurtriers comme Clifford Olson, Paul Bernardo et Robert Pickton n'ont jamais été choisis comme personnalité ayant le plus marqué l'actualité.

«Les Canadiens ont été assommés par les détails entourant la double vie de ce militaire, qui dirigeait la base des Forces canadiennes de Trenton, en Ontario. Le jour, il était une étoile de l'armée et un leader dans sa communauté. La nuit, il devenait un obsédé sexuel sadique et un tueur en série», a commenté Maurice Cloutier, rédacteur en chef à La Tribune, quotidien de Sherbrooke.

«Les révélations entourant toute cette affaire dépassent l'entendement», a-t-il ajouté.

Le dossier Williams contenait tous les éléments d'une histoire incontournable. Il s'agissait d'un «drame humain qui dépasse la raison», a poursuivi April Lindgren.

«C'était la chute en disgrâce d'un homme qui occupait un poste extrêmement respecté et était en position d'autorité. Le public a découvert qu'il agissait de manière horrible, ce qui remet en question la valeurs de notre société», a-t-elle dit.

Russell Williams a été choisi par 29 pour cent des médias qui ont pris part au sondage. Il a devancé le joueur de hockey Sidney Crosby, dont le but gagnant aux Jeux olympiques de Vancouver a déclenché une vague d'hystérie à travers le pays, à la mesure de la médaille d'or gagnée du même coup. Il a recueilli 15 pour cent des votes.

Le premier ministre Stephen Harper, qui détenait le titre en 2008 et en 2009, est arrivé troisième, avec 9 pour cent des votes, devant Jean Charest et ses 8 pour cent. Ce dernier fut le premier ministre provincial le plus souvent nommé dans le sondage, devant Danny Williams (7 pour cent) et Brad Wall (5 pour cent).

La patineuse artistique québécoise Joannie Rochette a récolté 5 pour cent des voix.

Pour la première fois, La Presse Canadienne a oeuvré de concert avec Yahoo! Canada pour aider à déterminer la personnalité ayant le plus marqué l'actualité en 2010.

Les internautes qui se sont prononcés ont simplement inversé les deux premiers choix des médias.

Selon eux, c'est Sidney Crosby qui laissera son nom dans les livres d'histoire (avec 21 pour cent des votes), alors que Russell Williams arrive en deuxième position, à égalité avec Justin Bieber (14 pour cent chacun). Le jeune chanteur arrivait en sixième place pour les médias.

Une histoire horrible

Pendant quatre journée du mois d'octobre, les macabres détails concernant la double vie du colonel ont été étendus devant un tribunal de l'est de l'Ontario, après qu'il eut plaidé coupable pour l'ensemble des 88 accusations déposées contre lui.

Peu de gens ont pu détourner leur attention des détails sordides de ces crimes, qui ont commencé avec des entrées par effraction au cours desquelles Williams volait les sous-vêtements de femmes et de fillettes parfois âgées de seulement 11 ans. Il enfilait les sous-vêtements avant de se masturber dans le lit de ses victimes.

Sa folie s'est accentuée jusqu'aux meurtres de la caporale Marie-France Comeau, qui était sous son commandement, et de Jessica Lloyd, dont la disparition a déclenché les recherches policières qui ont finalement abouti à son arrestation.

Williams avait ligoté les deux femmes et les avait violées à répétition, documentant chaque horrible seconde de leur torture avec un appareil-photo et une caméra vidéo, avant de les tuer.

Selon le juge qui a décidé de la peine de Williams, le 21 octobre dernier, le Canada se souviendra de Williams comme d'un «meurtrier sadomasochiste» dont la dépravation «n'a pas d'égal». Les procureurs en charge du dossier l'ont qualifié d'un des pires meurtriers dans l'histoire du Canada. Le frère de Jessica Lloyd, Andy Lloyd, a dit de lui qu'il était «le diable».

La descente aux enfers de Russell Williams a aussi été favorisée par la grande quantité d'information qui émergeait du tribunal, des gazouillis sur Twitter jusqu'aux photos de l'officier vêtu de sous-vêtements féminins étalées dans les journaux, selon Mme Lindgren.

Même si certains trouvaient que ces images étaient insoutenables, leur diffusion était acceptable, selon la journaliste.

«Ces deux images (Williams en sous-vêtements féminins, puis en tenue militaire), à mon avis, transmettaient toute la folie et la cruauté de l'histoire de Russell Williams, d'une façon dont les articles ne pouvaient le faire.»