C'est une première au Canada: hier, le commissaire au lobbyisme du Québec a imposé des sanctions disciplinaires à trois cadres et employés de BPR, une des principales firmes d'ingénieurs de la province.

Le commissaire a informé les titulaires de charges publiques - élus ou fonctionnaires, provinciaux ou municipaux - que ces trois représentants de BPR n'ont pas le droit d'intervenir auprès d'eux pour une période variant de 30 à 120 jours.

Leur faute: ils ont violé la loi en faisant des démarches auprès de la ville de Rivière-du-Loup et d'autres municipalités du Bas-Saint-Laurent, autour de contrats de travaux publics, et cela, sans s'inscrire au Registre des lobbyistes.

S'ils récidivent, surtout pendant la période d'interdiction, ils pourraient être condamnés à payer de lourdes amendes, de 5000$ à 25 000$, a expliqué le commissaire François Casgrain, au cours d'un entretien. «Ils risqueraient aussi de se voir interdire de faire du lobbying de façon permanente», a-t-il ajouté.

Ce n'est pas la première fois que BPR essuie les remontrances du commissaire. L'automne dernier, ses enquêteurs ont découvert que 13 personnes avaient agi à titre de lobbyistes d'entreprise, pour le compte de la firme, auprès de titulaires de charges publiques sans être inscrites au registre. Trois des plus hauts dirigeants de la firme ont manqué à leur obligation d'inscrire ces personnes.

Le commissaire a fait état de 84 manquements à la loi au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Dans la majorité des cas, le délai de prescription d'un an était écoulé. Le DPCP a malgré tout émis 12 constats d'infraction, assortis d'amendes.

L'un des constats a été envoyé à Jean D'Amour qui s'est joint à BPR après avoir quitté ses fonctions de maire de Rivière-du-Loup. Président du Parti libéral, M. D'Amour a ensuite été élu député libéral du comté. En février dernier, il a plaidé coupable à un constat et payé une amende de 500$.

Un constat a aussi été émis contre le président de BPR-Infrastructure, Yvon Tourigny, sous-ministre adjoint au ministère des Transports du Québec de 1990 à 2000. Trois autres employés, Stephen Davidson, Francis Gagnon et Annie Lefebvre, ont eux aussi reçu des constats. BPR les conteste tous.

Hier, le commissaire au lobbyisme a imposé des sanctions à ces trois mêmes personnes, Davidson, Gagnon et Lefebvre. Cette décision scandalise la firme d'ingénieurs. «Nous sommes grandement surpris de constater que le commissaire a imposé des sanctions disciplinaires alors que des procédures pénales contestées, portant sur les mêmes événements, sont pendantes devant les tribunaux», indique la firme dans un communiqué.

«Le commissaire fait fi du droit à la présomption d'innocence prévue à la Charte des droits et libertés. L'industrie du génie-conseil a toujours prétendu que les activités générales des ingénieurs-conseils étaient toutes contenues dans les exceptions à la loi.»

En clair, les firmes d'ingénieurs ne veulent pas être assujetties à la loi, a dit hier le commissaire, M. Casgrain. «Les ingénieurs estiment que les professionnels ne sont pas visés par la loi, a-t-il souligné. De notre côté, nous estimons que la loi est claire: n'importe quel professionnel qui approche un titulaire d'une charge publique, pour faire une proposition ou tenter de l'influencer, fait du lobbyisme et doit s'inscrire au registre.»

Les firmes d'ingénieurs refusent de s'inscrire parce qu'alors, leurs concurrents sauront qu'elles ont entrepris des démarches auprès de tel ou tel organisme public. Elles préfèrent effectuer ces démarches de façon discrète, sans que leurs concurrents ne l'apprennent.