« Quand ton agresseur est en liberté longtemps, malgré les ordonnances, tu penses toujours à ça. Tu as toujours peur de ce qu’il va t’arriver. Il n’y a rien qui prouve que la personne va respecter ses conditions », a confié Cynthia Blais lors de notre entrevue le mois dernier.

Elle a passé cinq ans à vivre dans la peur de croiser son bourreau. Cinq années où elle a tenté de mettre fin à ses jours à plus d’une reprise. L’annonce des délais provoquait chaque fois des crises et de la détresse.

Plus le temps passait, plus les craintes de Cynthia se décuplaient : son père allait-il la recontacter ? Tenter de la dissuader de poursuivre ses démarches ? Allait-elle le croiser ? Devrait-elle abandonner ?

Le sentiment de libération d’avoir dénoncé son père a peu à peu laissé place au stress et aux idées suicidaires, a admis Cynthia.

L’avocat de la défense invoquait, par exemple, un rendez-vous chez le médecin de l’accusé ou la santé chancelante de ce dernier, causant ainsi des délais. Chaque fois, Cynthia se préparait tant bien que mal à prendre la parole devant le juge. Elle devait tout revivre. Et chaque fois, elle apprenait la veille le report de son témoignage.

Ce sont ces délais causés par la défense qui ont contribué à alourdir le fardeau de Cynthia et non « l’ensemble de la machine judiciaire ».

Les délais judiciaires, peu importe la cause, ont des conséquences réelles et peuvent détruire une victime, a-t-elle illustré.

J’ai souvent pensé à retirer ma plainte. Le fait que c’était tout le temps reporté, je trouvais ça trop dur.

Cynthia Blais

Elle aurait parfois préféré un mode de fonctionnement plus « humain ».

« Tu te fais dire la veille que c’est reporté. Tu étais prête pour ton témoignage, tu as repensé à ce que tu as vécu, mais tu vas devoir le refaire encore et encore », a-t-elle laissé tomber.

« Chaque fois que la cause était reportée, on s’inquiétait pour Cynthia. Il fallait chaque fois la préparer », a confirmé Karine Macdonald, alors intervenante du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC). Elle a pris le dossier de Cynthia à cœur et était présente durant l’entrevue.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Karine Macdonald et Cynthia Blais, lundi

Stéréotype de la victime parfaite

La jeune femme ne peut le nier : le processus est, par moments, déshumanisant. Même en 2023, alors que l’idée de la victime parfaite est dépassée.

Cynthia s’était sentie déstabilisée quand l’avocat de la défense, MMario Lavigne, a insinué lors du procès que son père ne l’avait pas violée puisqu’il n’avait pas éjaculé à l’intérieur d’elle. Comme si tout son vécu, sa douleur et ses traumatismes étaient minimisés à coup de préjugés tout droit sortis des années 1980, a-t-elle lancé entre deux soupirs.

Le juge Serge Cimon a d’ailleurs rappelé le criminaliste à l’ordre en avril dernier. « Pour le Tribunal, la défense fait appel à une vision stéréotypée de ce qu’aurait fait une victime idéale. Or, il n’existe pas de victime idéale », a-t-il écrit dans sa décision sur culpabilité.

« Ça vaut la peine »

Le système n’est pas parfait, mais il fonctionne, a souligné la jeune femme à La Presse lundi à la sortie de l’audience. « Ça a valu la peine d’attendre, mais ça n’a pas été facile. » Elle a souvent pensé qu’elle ne méritait pas le bonheur. Plus maintenant. Malgré son long cheminement et les années passées à attendre, elle encourage les victimes à porter plainte et à se rendre jusqu’au bout.

Il y a des résultats. Il y a aussi beaucoup de services. L’aide est là, il ne faut pas avoir peur de la demander.

Cynthia Blais

L’accompagnement a été essentiel pour Cynthia ces cinq dernières années. Elle était renfermée lors des premières rencontres avec le CAVAC. La jeune femme était même hostile et nonchalante, s’est-elle rappelé. Elle avait toujours le capuchon de son coton ouaté sur la tête et parlait peu.

« C’est une autre personne aujourd’hui », a décrit Karine Macdonald, son ancienne intervenante CAVAC. Maintenant, elle est lumineuse et souriante. Elle est amoureuse, fait de la zoothérapie avec des chevaux et prend soin d’elle.

« Bien entouré, on passe au travers », a insisté Cynthia lundi. Elle n’imagine pas sa vie sans l’intervention de la CAVAC, la thérapie, le chien d’accompagnement offert aux victimes ayant besoin d’un soutien émotionnel, a-t-elle énuméré. « Je ne serais probablement plus là pour en parler sans l’aide », dit-elle.

« Il ne faut pas se décourager. J’espère que les victimes continueront à avancer même quand les procédures font du surplace. »