C'est un procès à propos d'une histoire déchirante, émouvante et brûlante d'actualité : Michel Cadotte, un aidant naturel épuisé par des années de dévouement pour sa femme, atteinte de la maladie d'Alzheimer au stade le plus avancé, l'a étouffée avec un oreiller pour mettre fin à ses souffrances, en 2017.

Le geste de Michel Cadotte a été décrit comme un meurtre par compassion. Mais devant la justice, ce concept n'existe pas.

Le sort de l'homme de 57 ans est maintenant entre les mains des jurés, qui doivent décider s'il est coupable du meurtre au second degré (non prémédité) ou de l'homicide involontaire de Jocelyne Lizotte. Il ne peut pas être acquitté.

L'année précédente, le mari avait demandé l'aide médicale à mourir pour son épouse, affirmant que c'est ce qu'elle aurait voulu, puisqu'elle n'avait plus de contact avec son environnement, ne reconnaissait personne et ne pouvait rien faire par elle-même. Mais Jocelyne Lizotte n'y était pas admissible, puisque sa démence l'empêchait de donner son consentement.

« Ce qui doit être au coeur de vos délibérations, c'est si M. Cadotte avait l'intention de causer la mort de Mme Lizotte », a souligné la juge Hélène Di Salvo dans ses directives au jury, avant qu'il ne commence ses délibérations.

Si le jury a un doute raisonnable sur l'élément d'intention, en considérant l'état d'esprit de l'accusé, il doit l'acquitter de meurtre au second degré et le déclarer coupable d'homicide involontaire.

Michel Cadotte souffrait-il ou non d'une dépression majeure quand il a fait le geste fatidique ? Les experts ayant témoigné au procès ne s'entendent pas à ce sujet.

Il revient donc aux jurés de déterminer si des symptômes de dépression ont pu perturber son jugement.

Une personne coupable de meurtre au deuxième degré est automatiquement emprisonnée à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 à 25 ans. Pour un homicide involontaire, il n'y a pas de peine minimale, sauf si une arme à feu est utilisée.

Le jury n'a pas à tenir compte de la peine à imposer à l'accusé, a rappelé la juge Di Salvo.

PAS D'ACQUITTEMENT

Le jury n'a pas la possibilité d'acquitter Michel Cadotte, puisque l'accusé a admis avoir mis fin aux jours de son épouse.

Vendredi dernier, les avocats de Michel Cadotte ont toutefois tenté de convaincre la juge Di Salvo de leur donner l'option de l'acquittement, en plaidant une « défense de nécessité » : Michel Cadotte ne pouvait que faire ce qu'il a fait, en enfreignant la loi, pour empêcher que son épouse continue à souffrir, ont-ils fait valoir.

« Au moment où il pose le geste, dans sa tête, il veut éviter que la souffrance continue dans l'avenir, et que ça soit pire, peu importe tout ce qu'il a fait avant pour que ça arrête. » - Me Elfriede Duclervil

Cette requête se basait notamment sur l'affaire Robert Latimer, ce père qui a tué sa fille de 12 ans lourdement handicapée en 1993. M. Latimer a été reconnu coupable de meurtre au second degré et a écopé d'une peine de prison à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 10 ans.

Mais, comme M. Latimer, débouté devant la Cour suprême, les avocats de Michel Cadotte n'ont pas réussi à convaincre la juge Di Salvo. Il aurait fallu une situation urgente de danger imminent et évident pour permettre cette option, a répondu la magistrate.

Même si Johanne Lizotte souffrait, elle n'était pas en danger, puisque sa maladie durait depuis plusieurs années. « C'est un état qui se dégrade, qui se détériore, c'est d'une tristesse absolue, mais il n'y a rien de nouveau cette journée-là, a souligné la juge Di Salvo. Si j'associe dans ce dossier la souffrance à un danger imminent, il va y avoir des line-up dans les CHSLD. »

PEU IMPORTE LE MOTIF

Le jury n'a pas été informé de la demande de permettre l'acquittement de Michel Cadotte, pour éviter d'influencer le verdict.

Les médias ne pouvaient pas non plus faire état de ces discussions avant que le jury ne soit isolé pour ses délibérations.

Jocelyne Lizotte, qui avait 60 ans lors de sa mort, souffrait d'alzheimer depuis 2006. Elle ne parlait plus, ne marchait plus, portait des couches et était sous contention 24 heures sur 24.

Michel Cadotte était le seul à continuer à la visiter au CHSLD Émilie-Gamelin, situé à Montréal. Même ses propres fils n'y allaient plus.

L'avocate de la poursuite, Me Geneviève Langlois, a fait valoir que personne ne pouvait décider d'enlever la vie à quelqu'un d'autre, peu importe le motif.

Mais les avocats de M. Cadotte ont souligné que, comme bien des aidants naturels, leur client était usé, épuisé par des années à prendre soin de sa conjointe, sans beaucoup d'aide extérieure, et se heurtant aux ressources limitées du système de santé. En outre, l'accusé avait lui-même des ennuis de santé et des problèmes financiers, en plus d'être soigné pour une dépression.

AVANT QUE LA DÉMENCE NE FRAPPE

Le débat de société sur l'aide médicale à mourir a fait énormément évoluer l'opinion publique au cours des dernières années.

Parallèlement au procès de M. Cadotte, une autre cause est entendue quelques étages plus haut, au palais de justice de Montréal : celle de deux personnes atteintes de maladies graves et incurables à qui l'État a refusé l'aide médicale à mourir (AMM), qui contestent la constitutionnalité des lois canadienne et québécoise sur le sujet.

Elles veulent faire invalider le critère de « prévisibilité de la fin de vie » des lois canadienne et québécoise (voir autre onglet).

Selon le Dr Pierre Viens, qui a assisté des dizaines de patients ayant demandé la mort, il faudrait aussi modifier la loi pour permettre de demander l'AMM dans les directives médicales anticipées, avant que la démence ne fasse son oeuvre.

Il se dit « révolté » par des histoires comme celle de Michel Cadotte, et prédit que de tels cas se multiplieront.

« L'empêchement d'avoir accès à l'AMM, lorsque toutes les autres conditions légales sont réunies, provoquera d'autres affaires Cadotte, des suicides, des  décisions de se laisser mourir de faim. » - Le Dr Pierre Viens

« Il y a 500 000 cas de démence, à divers niveaux, au Canada, souligne le médecin. Il y en aura 1 million en 2035. Actuellement, 30 % des personnes de 84 ans et plus sont atteintes d'une forme de démence. Il est temps de regarder le problème en face. »

« La démence dépossède inexorablement la personne de sa personnalité, et transforme la maman, le conjoint ou la fille en un mort-vivant, un trou noir sans communication dont personne, même expert et grand spécialiste, n'a la moindre idée. Lorsque le spectre de l'alzheimer se pointe, on est encore lucide. On sait, et notre famille sait, le chemin de croix qui nous attend et dont la dernière station est le CHSLD », a-t-il écrit récemment dans les pages de La Presse.

Les 12 jurés chargés de décider du sort de Michel Cadotte entament leurs délibérations ce matin et seront isolés jusqu'à ce qu'ils s'entendent unanimement sur un verdict.