Louis-Vincent Bourcier, un ancien militaire canadien qui a servi en Afghanistan, passera de longues années au pénitencier pour avoir importé et trafiqué des drogues dangereuses, dont du fentanyl et du carfentanil. Ces opioïdes, respectivement 100 fois et 10 000 fois plus puissants que la morphine, ont causé la mort de milliers de personnes aux États-Unis et au Canada.

Bourcier, 34 ans, a plaidé coupable hier à quatre chefs de trafic et de complot pour importation de substances, possession de substances et trafic de substances au palais de justice de Montréal.

Son avocat, Me Richard Dubé, a annoncé que la poursuite et la défense s'étaient entendues sur une peine de 12 ans, mais le prononcé de celle-ci a été reporté à la fin du mois, car l'avocat demandera que chaque journée passée en détention préventive soit calculée en double.

Bourcier est détenu depuis un peu plus d'un an, soit depuis que lui, sa conjointe et un autre individu, Robert Mitrache, eurent été arrêtés à l'issue d'une enquête sans précédent contre le trafic de fentanyl au Canada.

Le côté obscur de l'internet

Selon la preuve dévoilée, entre avril et décembre 2017, Bourcier et ses acolytes auraient créé la société Pharmaphil qui offrait toutes sortes de drogues sur l'internet clandestin (dark Web). 

Les acheteurs, qui provenaient du Canada, des États-Unis et de partout dans le monde, devaient payer les produits en cryptomonnaie et Pharmaphil leur envoyait les drogues par la poste.

L'enquête, baptisée Crocodile et menée par l'Unité mixte d'enquête contre le crime organisé (UMECO) de la Gendarmerie royale du Canada, a débuté peu après qu'une douanière eut été incommodée par du fentanyl en manipulant une enveloppe au centre de tri du courrier Léo-Blanchette, à Montréal, en avril 2017.

Les enquêteurs ont trouvé d'autres enveloppes similaires et ont fait appel à des corps de police aux États-Unis et au Canada pour que des policiers se fassent passer pour des consommateurs et achètent des produits auprès de Pharmaphil.

Les enquêteurs ont pu cerner des secteurs où les malfaiteurs déposaient leurs enveloppes, et surveiller jusqu'à 80 boîtes aux lettres de Postes Canada.

Avancée majeure

Grâce au travail d'un policier américain expert en enquête sur les transactions en cryptomonnaie, un certain Daniel Mitrache, résidant vraisemblablement en Espagne, a été identifié.

« Il était le bénéficiaire principal de fentanyl et a reçu environ 786 bitcoins. La valeur du bitcoin fluctuait à ce moment entre 15 et 20 000 $. Ça donnait un montant substantiel. » - Mathews McGraw, enquêteur de la GRC durant les procédures, à propos de Daniel Mitrache, qui aurait collaboré au stratagème de Louis-Vincent Bourcier 

Les parents de Mitrache habitant au Québec, les policiers ont surveillé la maison et suivi Robert Mitrache, le frère de Daniel, qui les a menés à la résidence de Bourcier, à Châteauguay.

Après plusieurs jours de filature, les policiers en sont venus à la conclusion que Mitrache était le courrier, qu'il allait chercher les enveloppes chez Bourcier, les manipulait avec précaution avant de les déposer dans les boîtes aux lettres partout dans l'île de Montréal, rarement les mêmes. Ainsi, les douaniers et les policiers ont pu saisir 84 enveloppes contenant entre autres plus de 12 g de fentanyl au total.

Le piège se referme

Le 14 décembre 2017, les enquêteurs ont fait une entrée subreptice chez Bourcier et constaté la présence de drogues et d'enveloppes. Deux jours plus tard, jour des arrestations, ils ont envoyé frapper à sa porte un agent double qui s'est fait passer pour un criminel et qui l'a invité à appeler son patron pour qu'il verse une taxe à ce dernier, « pour pouvoir continuer à travailler ».

« En tous les cas, je pense que tu te trompes de voisin », a dit Bourcier au policier qui se faisait passer pour le caïd des environs, alors qu'il était écouté par les enquêteurs.

« Écoute, je sais ce qui se passe. Je ne ferai pas une grosse affaire avec ça, mais il faut réaligner les affaires. Je sais que je ne me trompe pas. Fait que viens me voir et on va jaser », a répondu le faux bandit.

Bourcier et Mitrache ont été arrêtés peu après, alors qu'ils se rendaient au lieu de rendez-vous. Chez Bourcier, les policiers ont saisi des quantités non négligeables d'opioïdes : 2760 g de fentanyl, 171 g de carfentanil, 69 buvards de carfentanil, 50 g de U-47700 et 121 g d'héroïne et de méthamphétamine.

Une analyse a révélé la présence de l'ADN de Bourcier dans deux masques à filtre et trois gants de latex retrouvés dans un sac poubelle, dans la pièce du sous-sol de sa maison servant de laboratoire. 

Dans une décision refusant à Bourcier sa mise en liberté en mai 2018, le juge Marc David de la Cour supérieure a souligné « le contexte sociétal où sévit une véritable menace à la santé publique en lien avec ces poisons ». 

Jeune soldat

La mère de Bourcier a témoigné à l'enquête sur mise en liberté et expliqué que son fils avait quitté la maison à 17 ans et demi pour aussitôt s'enrôler dans l'armée. 

Témoignant lui-même, Bourcier a raconté avoir été dans l'infanterie puis dans les parachutistes avant d'être muté aux unités de reconnaissance. Il est demeuré environ six mois en Afghanistan durant les années 2000. Il a dit avoir suivi des formations dont il ne peut pas parler. Avant d'être arrêté, il était compagnon frigoriste et a admis faire un salaire d'environ 85 000 $ par année.

Les États-Unis ont laissé entendre qu'ils pourraient décider de porter des accusations contre Bourcier et ont demandé son extradition, mais cette possibilité serait de moins en moins probable selon nos informations.

Sa conjointe, qui était enceinte au moment de son arrestation, travaille dans le réseau de la santé. Elle est toujours accusée, mais tout indique que les accusations déposées contre elle seront retirées. La maison du couple est située juste à côté d'une garderie en milieu familial. 

En juin 2017, un article du New York Times sur la crise du fentanyl aux États-Unis avait dépeint la société Pharmaphil comme l'un des vendeurs de fentanyl les plus populaires sur le dark Web.

Robert Mitrache a lui aussi plaidé coupable et a été condamné à 12 ans de pénitencier le 23 novembre dernier. Son frère Daniel n'a pas été arrêté ni accusé dans cette affaire.

La douanière incommodée en avril 2017 a conservé des séquelles de l'incident.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse courriel de La Presse