Tenir 45 heures de procès… en une journée. C’est l’impossible miracle parfois attendu à la Cour itinérante du Nunavik. Rôle surchargé, pénurie d’avocats de la défense, manque de locaux : la liste des problèmes qui affligent la justice de la communauté inuite semble interminable.

Dans une décision récente de la Cour du Québec dans un dossier de délais déraisonnables, la juge Nathalie Samson rappelle cette évidence : l’État a la responsabilité de s’assurer que le système judiciaire du Nunavik a les ressources nécessaires pour éviter les délais.

« L’arrêt Jordan ne fait pas de distinction entre les régions. Le droit d’avoir un procès dans un délai raisonnable est un droit pour tous les citoyens », conclut la juge Samson.

Dans ce dossier, un homme a été accusé d’agression sexuelle en novembre 2020. Son procès devait finalement avoir lieu à Kuujjuaq en juin 2023. Or, ce jour-là, 20 heures de procès étaient déjà fixées, dont celui prioritaire d’un détenu. Au Nunavik, entre 15 et 45 heures de procès sont à l’horaire chaque jour. Comme il était impossible de tenir le procès de l’homme, il a bénéficié d’un arrêt du processus judiciaire.

L’argument historique d’un volume important de dossiers et d’un système dysfonctionnel au Nunavik ne justifie pas de surpasser le plafond de 18 mois. Des délais chroniques institutionnels et systématiques ne peuvent également servir de base pour surpasser le plafond.

La juge Nathalie Samson, dans une décision récente de la Cour du Québec

« Il y a une iniquité dans l’offre des services. Ces populations méritent beaucoup mieux », s’exaspère MLouis-Nicholas Coupal, un avocat qui pratique au Nunavik.

D’abord, un enjeu incontournable : la quantité ahurissante de dossiers au Nunavik. En 2019-2020, 11 % de la population entière a été accusée d’un crime (1356 sur 12 362). Cela représente environ un adulte sur six. En comparaison, 0,6 % des Québécois ont été accusés d’un crime cette année-là.

Des chiffres « alarmants », selon le rapport sur la situation de la Cour itinérante au Nunavik, qui a conclu en août 2022 à une surjudiciaration « évidente et inquiétante » des Nunavimmiut. L’auteur du rapport avait fait une vingtaine de recommandations.

Des défis immenses

« Il y a énormément de facteurs de ralentissement au Nunavik », explique le juge coordonnateur à la Cour du Québec pour l’Abitibi–Témiscamingue–Eeyou Istchee–Nunavik, Thierry Roland Potvin.

La Cour itinérante se tient principalement dans le petit palais de Kuujjuaq, où les gens se marchent sur les pieds. Les procès peuvent seulement être tenus du mardi au jeudi, puisque les juges et le personnel sont en partie en déplacement les lundi et vendredi. Le mercredi est consacré aux autres collectivités du Nunavik. Organiser un procès de deux jours relève ainsi du défi.

On a seulement trois ou quatre heures et on a une trentaine de personnes. On n’arrive pas à tous les faire.

Thierry Roland Potvin, juge coordonnateur à la Cour du Québec pour la région de l’Abitibi–Témiscamingue–Eeyou Istchee–Nunavik

En raison du manque de locaux dans certains secteurs du Nunavik, il faut aller chercher les justiciables dans leurs communautés. Ainsi, ils arrivent à Kuujjuaq vers 11 h et doivent repartir à 15 h 30 pour que les pilotes ne dépassent pas leur nombre d’heures maximum de pilotage, explique le juge Potvin.

Dans les dossiers de violence conjugale et d’agression sexuelle, les procédures s’étirent inévitablement, puisque la Cour itinérante ne se rend dans une collectivité que quatre ou cinq fois par année, et ce, si la météo s’y prête. « Ce sont des délais institutionnels », soutient le juge Potvin.

Autre problème « énorme », estime le juge Potvin : le roulement « incroyable » des avocats de la défense qui entraîne de nombreuses demandes de remise. Du jour au lendemain, quand un avocat quitte la région, son remplaçant se retrouve avec 50 nouveaux clients à qui il n’a pas parlé.