Exode du personnel judiciaire, délais inquiétants, postes de juges vacants, risque d’arrêts du processus judiciaire : les juges en chef des tribunaux du Québec se sont montrées très inquiètes de l’état du système de justice jeudi et ont appelé les gouvernements à agir pour redresser la barque.

« L’heure est grave », s’est alarmée Marie-Anne Paquette, juge en chef de la Cour supérieure du Québec.

« La situation demeure précaire, fort précaire », s’est inquiétée Manon Savard, juge en chef de la Cour d’appel du Québec.

Devant des dizaines d’avocats et une centaine de juges, les juges en chef des tribunaux ont prononcé jeudi matin leurs discours annuels à l’occasion de la rentrée judiciaire au palais de justice de Montréal, un évènement organisé par le Barreau de Montréal.

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Des juges de la Cour supérieure du Québec lors de la rentrée judiciaire

Cette année encore, les délais judiciaires étaient au cœur de leurs inquiétudes. La juge en chef de la Cour d’appel du Québec a ainsi évoqué « des délais qui dépassent parfois l’entendement », au point d’obliger certaines à renoncer à demander justice.

« À notre grande désolation », les délais s’étirent maintenant à 24 mois dans plusieurs districts, dont celui de Montréal, pour obtenir un procès au civil et au familial, déplore la juge en chef de la Cour supérieure. « Que ce soit pour un divorce, une cause de congédiement, de vice caché, de succession, ou autres. Rien de léger », a illustré Marie-Anne Paquette.

« La société paye un très fort prix pour ces délais », a tranché la juge en chef Paquette.

À la source de ces délais qui s’étirent : l’incapacité du gouvernement Trudeau de pourvoir les postes vacants. Ainsi, six postes demeurent toujours vacants à la Cour supérieure. Le délai moyen pour pourvoir ces postes est de 11 mois à travers le pays. Seul le gouvernement fédéral « détient la solution », a conclu Marie-Anne Paquette.

Concrètement, ces six postes non pourvus privent la population de plus de 65 jours de procès chaque mois, a fait valoir la juge en chef de la Cour supérieure. De ce fait, les dates d’audience sont encore plus éloignées dans le temps, au détriment du public.

À toujours vouloir faire plus avec moins, on finira par arriver au point où, malgré tous les efforts et toutes les contorsions, la Cour supérieure ne pourra pas écarter la possibilité d’arrêts de procédures en 2023-2024.

Marie-Anne Paquette, juge en chef de la Cour supérieure du Québec

Dans l’arrêt Jordan, la Cour suprême a fixé à 30 mois le plafond des délais en matière criminelle et pénale à la Cour supérieure.

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Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, n’était pas présent, mais il a livré un message par vidéo.

Dans une vidéo préenregistrée, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a qualifié de « très inquiétante » la hausse des délais judiciaires. Il a souligné l’entente conclue au printemps avec la Cour du Québec pour nommer de nouveaux juges et accroître le temps de cour des magistrats.

Pénurie de main-d’œuvre

Greffières, constables spéciaux, huissiers-audienciers : ces employés de l’ombre sont des rouages primordiaux du système judiciaire. Or, ils sont nombreux à claquer la porte en raison des salaires non concurrentiels. Il n’est pas rare qu’un juge doive travailler sans l’aide d’une adjointe. Plusieurs journées de cour sont perturbées en raison de l’absence de greffière ou d’un constable dans la salle.

« La pénurie de main-d’œuvre fragilise les tribunaux et mine la confiance du public. Rien de moins », a affirmé Manon Savard, la juge en chef de la Cour d’appel.

Il est donc « incontournable » d’offrir des conditions salariales « améliorées » au personnel judiciaire, a tranché la juge en chef. D’ailleurs, les trois juges en chef des tribunaux québécois ont interpellé directement les « plus hautes instances de l’État dans l’espoir que les gestes requis soient posés », a-t-elle révélé.

« La Justice doit s’inscrire, et demeurer, dans les priorités du gouvernement », a conclu Manon Savard.

« Je garde espoir que le gouvernement trouvera des voies de passage vers des conditions salariales qui nous permettront d’attirer et de fidéliser les employés dont nous avons besoin », a dit la juge en chef Marie-Anne Paquette.

Pour illustrer les enjeux du système de justice, la juge en chef de la Cour d’appel a fait un parallèle avec la crise climatique.

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La juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Manon Savard

Nous connaissons les causes de la précarité de notre situation, nous savons ce qui doit être fait pour y remédier, mais il y a encore des acteurs qui ne sont pas habités par le sentiment d’urgence que requiert la situation.

Manon Savard, juge en chef de la Cour d’appel du Québec

Pour son dernier discours comme juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, qui termine son mandat le 25 octobre prochain, s’est attardée sur un enjeu loin des préoccupations de ses collègues, soit le « mythe » du « gouvernement des juges ».

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La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau

La juge en chef Rondeau s’est ainsi lancée dans un plaidoyer pour la séparation des pouvoirs et l’indépendance judiciaire. Les juges et les avocats ont souligné son départ par une ovation debout.