(Québec) Nicole Rainville s’est-elle suicidée dans son condo du quartier huppé de Sillery en 2009 ? Ou a-t-elle plutôt été tuée par son mari, alors un juge réputé de la Cour d’appel du Québec ?

L’histoire jusqu’ici

Novembre 2009

Nicole Rainville est retrouvée morte dans la maison qu’elle partage avec son mari, Jacques Delisle.

2012

L’ex-juge est reconnu coupable de meurtre prémédité. Il est condamné à une peine de prison à perpétuité.

Avril 2021

Jacques Delisle épuise tous ses recours. Mais, citant la possibilité d’une erreur judiciaire, le ministre fédéral de la Justice ordonne la tenue d’un nouveau procès pour l’ancien juge. Il est immédiatement libéré.

2022

La Cour supérieure demande l’arrêt du processus judiciaire, citant plusieurs erreurs du pathologiste judiciaire qui pourraient empêcher l’accusé d’avoir un procès juste.

6 septembre 2023

La Cour d’appel infirme la décision et demande la tenue d’un deuxième procès.

Cette question cruciale, qui a fait les manchettes judiciaires pendant des années au Québec, pourrait bien redevenir d’actualité. La Cour d’appel vient d’ordonner un nouveau procès.

Le plus haut tribunal du Québec a annulé mercredi l’arrêt du processus judiciaire prononcé l’an dernier par la Cour supérieure à l’égard de l’homme de 88 ans. Cette décision représente un énième rebondissement dans ce feuilleton.

L’avocat de l’ancien juge n’a pas voulu dire s’il entendait contester le jugement de la Cour d’appel. « Nous allons prendre connaissance de la décision et rencontrer notre client avant de faire des commentaires », a indiqué MMaxime Roy.

L’octogénaire avait été déclaré coupable du meurtre prémédité de sa femme en 2012 à l’issue d’un procès hautement médiatisé. Il a passé neuf ans derrière les barreaux à clamer son innocence et à multiplier les recours, en vain.

Dans un geste fracassant, le ministre fédéral de la Justice avait ordonné en avril 2021 la tenue d’un nouveau procès pour l’ancien juge, grâce à des pouvoirs extraordinaires de révision. Jacques Delisle avait été libéré sur-le-champ. Il s’agissait d’une intervention rarissime, en vertu d’une possible erreur judiciaire.

« Grave négligence » du pathologiste judiciaire

Normalement, à ce stade, Jacques Delisle aurait dû avoir un second procès. Mais la Cour supérieure du Québec avait signé la victoire totale de l’accusé en 2022. Elle avait alors prononcé l’arrêt du processus judiciaire en raison de la violation des droits constitutionnels de l’ex-juge. Les nombreuses erreurs et la « grave négligence » du pathologiste judiciaire avaient mené à cette décision.

Le pathologiste avait en effet omis de conserver et de photographier les coupes du cerveau de la victime, et avait négligé d’effectuer des prélèvements du cerveau concernant les traces du passage du projectile. Une preuve pourtant cruciale, puisque le débat au procès reposait essentiellement sur l’angle du tir mortel.

Mais voilà que mercredi, la Cour d’appel a infirmé la décision du tribunal inférieur. Les trois juges reconnaissent la « négligence inacceptable de l’État qui a mené à la disparition de la preuve ».

Mais selon eux, l’arrêt des poursuites est une mesure exagérée. Il serait possible, selon la Cour d’appel, de tenir un nouveau procès en donnant, par exemple, des directives aux jurés.

Malgré les défaillances du dossier d’autopsie, les experts font la démonstration qu’il est possible de présenter, au sujet de la trajectoire du projectile, une preuve probante contraire à celle du pathologiste qui a procédé à l’autopsie initiale. Le préjudice n’est donc pas irrémédiable.

Extrait de la décision de la Cour d’appel

« La Cour est d’avis qu’une directive au jury pourrait constituer une réparation juste et raisonnable », continue la décision.

Le plus haut tribunal du Québec annule donc l’arrêt du processus judiciaire et renvoie le dossier à la Cour supérieure pour un nouveau procès.

Meurtre ou suicide ?

La question des expertises est essentielle dans ce dossier. L’angle de tir avait été au cœur du premier procès. « À angle droit, il y avait possibilité d’un suicide. À 30 degrés, la Couronne était d’avis qu’il s’agissait de l’intervention d’un tiers », résumait en avril 2021 l’autre avocat de Jacques Delisle, Me Jacques Larochelle.

Nicole Rainville avait été retrouvée morte dans l’appartement de Québec qu’elle partageait avec son mari le 12 novembre 2009. La femme de 71 ans était à demi paralysée depuis un AVC. Elle semblait au premier abord s’être suicidée d’une balle dans la tête avec l’arme non enregistrée de son mari.

Mais des éléments de preuve avaient convaincu la Couronne de porter des accusations de meurtre contre l’ancien juge.

Les experts s’étaient notamment penchés sur une tache noire retrouvée dans la paume de la main gauche de la victime, laissant croire à une plaie de défense. Les policiers avaient aussi mis au jour une relation extraconjugale entre l’ex-juge et une femme.

Les enfants du couple ont toujours soutenu leur père et cru à son innocence.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse