D’une certaine manière, l’annonce d’un deuxième procès pour Jacques Delisle, ci-devant juge à la Cour d’appel du Québec, est la preuve que tous sont traités également devant les tribunaux.

Il a beau avoir eu une flamboyante carrière d’avocat à Québec, avoir siégé à la plus haute Cour du Québec, il a perdu sa cause devant (presque) toutes les instances judiciaires. Condamné par un jury pour le meurtre prémédité de sa femme. Débouté devant « sa » Cour d’appel. Puis en Cour suprême. Et voilà qu’après quelques péripéties, l’homme de 88 ans se fait renvoyer devant un jury pour un deuxième procès pour meurtre… par ordre de la Cour d’appel. Cour d’appel où il a siégé avec superbe jusqu’en 2009.

Ses amis vous diront même qu’il a été traité plus sévèrement parce qu’il a été juge, car « le système » voulait montrer de manière éclatante l’impartialité de la justice.

Mais si on la prend par l’autre bout de la lorgnette, cette affaire illustre au contraire la « justice de classe ». Malgré une condamnation finale au bout de deux appels, cet homme de loi a obtenu le privilège d’une « révision » de son dossier par un comité du ministère de la Justice à Ottawa. Il a pu financer sept expertises internationales de pathologie judiciaire pour convaincre le ministre d’une « probable » erreur judiciaire.

C’est ainsi que, huit ans après sa condamnation à l’emprisonnement à perpétuité, il a eu droit à un second procès, en 2021.

Les condamnés qui obtiennent ce droit ont généralement obtenu une nouvelle preuve – ADN, preuve cachée, témoin nouveau inconnu… Le juge Delisle, lui, avait accès à toutes les meilleures ressources. Déjà, pour son procès, il avait fait appel à un pathologiste français pour sa défense. Pour sa « révision » extraordinaire, c’est pas moins de sept experts qui ont préparé un rapport. Il n’y avait rien de vraiment « nouveau ». Il y avait le poids de ces experts réputés. Cela a suffi à rouvrir son dossier. C’est à peine un cas par année au Canada qui réussit à traverser avec succès ce processus pour condamnés.

Généralement, rendu là, le ministère public dépose les armes : ou bien l’innocence est carrément prouvée, ou bien la preuve est trop faible pour justifier un deuxième procès. Le condamné est alors acquitté, sinon officiellement blanchi.

Dans le cas de Delisle, le DPCP a estimé avec raison que rien n’avait vraiment changé après cet ordre de deuxième procès. Le dossier est encore tout aussi solide pour justifier une condamnation.

Rappelons que Delisle a été défendu par l’un des meilleurs avocats au Québec (certains disent que Jacques Larochelle est le meilleur ; il est à coup sûr le plus éloquent). Le juriste a choisi de ne pas témoigner devant le jury pour se dire innocent du meurtre de la mère de ses enfants. Plus tard, il a donné des raisons étranges pour expliquer ce silence, mais a dit que cela avait été la pire erreur de sa vie.

La plupart des rares personnes injustement condamnées qui ont obtenu une révision étaient sans le sou. Elles ont dû compter sur le quasi-bénévolat de quelques avocats et les efforts surhumains de leur famille pour prouver leur innocence, au bout de 10, 20, 30 ans.

Tant mieux, me direz-vous, si le juge Delisle a pu obtenir cet examen plus vite. D’autant qu’il a maintenant 88 ans. Mais pour ce bout-là de l’affaire, l’homme a bénéficié d’une forme de « justice de classe », comme disaient les marxistes.

Toujours est-il que la Cour d’appel mercredi est venue nous dire ceci : la preuve contre Jacques Delisle ne tient pas seulement à un rapport de pathologie qui détermine l’angle d’entrée de la balle fatale dans le crâne de sa femme handicapée.

Car si, en 2022, le juge du deuxième procès a décrété l’arrêt du processus judiciaire contre Delisle, c’est qu’à son avis, un deuxième procès juste était impossible. Pourquoi ? Parce que le pathologiste avait détruit le cerveau de la victime. Cela rendait impossible la détermination « certaine » de l’angle de tir.

La Cour d’appel observe que cela n’a pas empêché les sept experts de fournir une opinion catégorique sur la question, pour contester la thèse de la Poursuite. Ensuite, même si c’était une grave erreur de ne pas conserver ces tissus, cela ne rend pas le procès impossible.

J’ajouterais même ceci : toute cette histoire de pathologie est à mon avis de l’esbroufe. La preuve la plus troublante n’est pas l’angle de tir sur le crâne et la trajectoire du projectile dans le crâne (qui pourrait indiquer un suicide plutôt qu’un meurtre). C’est la tache de poudre à fusil dans la main de la victime. Cette tache, dit la police, est une plaie de défense : la victime se l’est faite en mettant sa main sur le canon que l’assassin pointait.

Nicole Rainville n’a pas pu tirer ce coup de feu à poing fermé et avoir une tache de poudre dans la main. C’est impossible, ou extraordinairement improbable. L’expert de la défense a tenté de démontrer la position acrobatique que la main de Mme Rainville aurait dû maintenir pour avoir de la poudre dans la main tout en se tirant une balle. On n’a jamais vu pareille affaire dans les annales.

Ne parlons même pas du mobile de l’accusé (une liaison extraconjugale) ni de ses mensonges à la police.

Ce fait à lui seul peut convaincre un jury. On peut penser qu’il a pesé fort pour convaincre le premier jury.

Nous voici donc revenus au point de départ judiciaire. Ça ne veut pas dire que le procès aura lieu : un appel est possible, d’autres requêtes arriveront.

Mais malgré la durée de l’affaire, l’âge de l’accusé et les expertises, ce que la Cour d’appel vient de dire, c’est que la justice doit encore être rendue par un jury.