Trois semaines après son dernier signe de vie, la disparition de la Sherbrookoise Édith Blais au Burkina Faso est maintenant traitée comme un cas d'enlèvement par Ottawa, a pu confirmer La Presse, dimanche, alors que sa famille continuait à la chercher.

Même si aucune demande de rançon n'a été transmise et qu'aucun élément ne confirme directement cette thèse, les autorités canadiennes préfèrent agir en fonction de la possibilité d'un kidnapping, selon nos informations. « Ils ne sont pas allés sur une île déserte sans avertir personne », a illustré une source fédérale.

Mme Blais, une Sherbrookoise de 34 ans, a communiqué avec sa famille pour la dernière fois le 13 décembre et s'est manifestée sur Facebook le 15 décembre. Elle voyageait avec un copain italien dans l'ouest du Burkina Faso, entre la ville de Bobo-Dioulasso et la capitale Ouagadougou.

« Elle communiquait avec nous tous les deux ou trois jours », a expliqué sa soeur Mélanie Bergeron-Blais.

« Puis abruptement, il n'y a plus de communication avec personne. Il n'y a pas de transaction financière non plus à partir du compte d'Édith depuis le 11 décembre. » - Mélanie Bergeron-Blais, soeur d'Édith Blais

Le gouvernement du Burkina Faso ne réussit pas à contrôler la totalité de son territoire. Des criminels, des terroristes et des rebelles s'y activent. Ottawa recommande d'ailleurs d'éviter « tout voyage non essentiel au Burkina Faso en raison de la menace terroriste ».

Discrétion

Ce choix du « mode enlèvement » signifie notamment qu'Ottawa tentera de rester discret dans ce dossier sur la scène publique, afin de ne pas faire augmenter les demandes de ravisseurs potentiels.

Cette stratégie pourrait entrer en collision avec la vision de la famille d'Édith Blais. Ses proches s'activent depuis quelques jours pour tenter de susciter de l'intérêt au Québec et en Afrique quant au sort de la voyageuse.

Hier, Mélanie Bergeron-Blais estimait que les démarches officielles n'avaient rien donné jusqu'à ce que l'histoire soit rendue publique dans les médias et sur Facebook. « C'est là que ça s'est mis à bouger et à débouler. On a maintenant l'impression que quelqu'un enquête quelque part et que nous ne sommes plus un dossier dans le fond d'une pile », a-t-elle dit. La famille devait rencontrer des fonctionnaires fédéraux hier.

Attendre environ une semaine avant d'avoir la visite d'Affaires mondiales Canada, c'est trop long, selon Jocelyne Bergeron, mère d'Édith Blais.

« Quand tu as perdu un membre de ta famille, chaque seconde compte. S'ils sont en danger, il faut les sauver. On ne veut pas que ça retarde. On ne s'est pas sentis soutenus. » - Jocelyne Bergeron, mère d'Édith Blais

La soeur d'Édith Blais va plus loin. « C'est clair qu'ils sont en danger. Ça ne se peut pas qu'elle ne nous contacte pas. Il n'y a aucun, aucun doute qu'il leur est arrivé quelque chose. »

Le cabinet de la ministre du Développement international n'a pas voulu commenter la situation.

« Plusieurs pistes qui tombent »

Édith Blais n'en était pas à ses premières pérégrinations au bout du monde. Elle se trouvait au Burkina Faso en route vers le Togo, où elle devait participer à un projet de coopération humanitaire. Elle n'est jamais arrivée sur place. Son chemin avait commencé en Europe, à partir d'où elle a traversé sur le continent africain.

Elle voyageait avec Luca Tacchetto, un ressortissant italien de 30 ans. Lui aussi est porté disparu : ce sont les autorités italiennes qui ont d'abord alerté Affaires mondiales Canada sur le fait que le duo manquait à l'appel.

Sur la page Facebook d'Édith Blais, une photo montre la voiture dans laquelle ils se déplaçaient : une petite Renault marine, avec de l'équipement sur le toit.

Jocelyne Bergeron décrit sa fille comme étant un « esprit libre », mais est persuadée qu'elle aurait eu de ses nouvelles. « J'ai appelé la mère de Luca et elle a dit : "non, mon fils m'aurait contactée" », ajoute la soeur d'Édith Blais.

Équipés de leurs ordinateurs et de leurs téléphones, les proches d'Édith Blais continuaient de ratisser les réseaux sociaux, hier, à la recherche d'indices ou de pistes.

Certains Burkinabés pensaient bien avoir aperçu les voyageurs à Ziniaré, au Burkina Faso, mais il s'agissait d'un couple d'Allemands.

« On sait que la dernière personne qui les aurait vus s'appellerait Robert. Ce serait un Français avec qui ils auraient soupé le 15 décembre. Après, il n'y a plus rien. Il y a plusieurs pistes qui, finalement, tombent. » - Mélanie Bergeron-Blais, soeur d'Édith Blais

Une information semblant pertinente est entrée samedi, mais les deux femmes ne veulent pas trop s'emballer. Une jeune femme aurait été aperçue au Togo dans un village.

« En même temps, il y a internet là-bas, ce n'est pas plausible », explique Mélanie Bergeron-Blais.

Est-ce que le moral demeure quand même bon ? « C'est très difficile à dire. On ne dort pas beaucoup, on travaille fort depuis plusieurs jours. On essaie de ne pas se laisser trop envahir par les émotions. On tente de garder la tête froide pour être toute là. On veut répondre à chaque appel », ajoute-t-elle.

Disparitions suivies en Italie

L'Italie suit aussi les nouvelles de la disparition de Luca Tacchetto et Édith Blais. Les médias du nord-est du pays, où il habite, font leurs choux gras d'un « mystérieux ami français », marié à une Burkinabée, chez qui le couple avait passé la soirée du 15 décembre, dernier jour où M. Tacchetto a donné des nouvelles à son père. Circulent notamment une photo prise lors d'un souper chez le couple franco-burkinabé, prise par Mme Blais en mode autoportrait, puis une vidéo à un spectacle où on voit encore l'« ami français ».

Fils d'un ex-maire de sa ville natale de Vigonza, près de Padoue, M. Tacchetto avait rencontré Mme Blais lors d'un échange universitaire européen Erasmus - il étudiait alors l'architecture. Après son anniversaire, le couple était parti en voyage, tout d'abord en France et en Espagne, puis au Maroc, en Mauritanie et au Mali. Il devait participer à un projet humanitaire d'architecture au Togo, selon le Corriere del Veneto.

- Avec Tommy Brochu, La Tribune, Mathieu Perreault, La Presse et La Presse canadienne

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LE GOUVERNEMENT « N'A PAS LE CONTRÔLE SUR SON TERRITOIRE »

François Audet, directeur de l'Institut d'études internationales de Montréal, est expert de l'aide au développement international et des organisations qui la pratiquent. Il a accepté d'apporter son éclairage sur le contexte dans lequel s'est produite la disparition d'Édith Blais.

Question: que signifie l'avertissement émis par Ottawa à l'égard du Burkina Faso ?

Réponse: C'est l'avis général qui est donné pour tous les pays où le gouvernement canadien considère que c'est très risqué de voyager. Il se base sur des sources comme les ambassades d'autres pays, notamment celles des États-Unis ou de la France pour l'Afrique de l'Ouest. Ça veut dire qu'on y va à ses risques et périls.

Question: un voyageur qui s'y rend ne doit donc pas compter sur les autorités canadiennes ?

Le gouvernement canadien n'a pas de capacités logistiques pour pouvoir extraire des individus qui sont mal pris. C'est un peu du fantasme de croire qu'on a des hélicoptères sur nos ambassades qui vont récupérer les gens en mauvaise position. On n'a pas ou peu de capacité de ce type, surtout le Canada.

Question: pourquoi la situation sécuritaire est-elle mauvaise au Burkina Faso ?

L'Afrique de l'Ouest est formée de pays qui ont depuis des siècles des frontières extrêmement poreuses. L'éclatement de la Libye a fait en sorte d'envoyer des centaines de djihadistes qui ont trouvé une région très pauvre, sans frontière, où il était facile de faire du recrutement et de construire des bases d'entraînement. Comme le banditisme, c'est un symptôme d'un gouvernement qui n'a pas le contrôle sur son territoire. Et s'il n'a pas le contrôle sur son territoire, n'importe qui y fait n'importe quoi. Il y a des groupes rebelles qui étaient plutôt calmes, mais qui se sont armés - et l'éclatement de la Libye leur a fourni des armes. C'est une zone extrêmement volatile.

Question: que fait le gouvernement burkinabé face à cette situation ?

Le gouvernement du Burkina Faso a resserré la sécurité sur la capitale, mais n'a jamais été en mesure de contrôler les zones rurales. Ça reste un petit pays, mais qui n'est pas urbanisé du tout, avec des zones désertiques et semi-désertiques qui occupent le plus gros du territoire.

- Propos édités pour faciliter la compréhension