La loi au coeur de la saga judiciaire impliquant SNC-Lavalin et perturbant le gouvernement fédéral n'a mené à des poursuites devant les tribunaux que sept fois en 20 ans. Ce bilan pousse certains observateurs à réclamer un nouvel examen de la loi - et plus de ressources pour les enquêteurs.

En vertu de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers, les entreprises et individus canadiens ne peuvent corrompre des agents publics étrangers dans le cadre de transactions commerciales. Le rapport le plus récent soumis au Parlement sur cette loi indique que depuis son adoption en 1999, des accusations ont été portées contre quatre entreprises et 15 individus, à la suite de sept enquêtes.

Parmi celles-ci, trois entreprises ont plaidé coupables tandis que trois personnes ont été condamnées ; onze individus ont été acquittés ou ont vu les accusations être abandonnées par la poursuite. Une personne accusée de corruption en Inde doit être jugée plus tard cette année.

Une seule poursuite est toujours en cours contre une entreprise : SNC-Lavalin, qui aurait versé des pots-de-vin à des responsables libyens. Si SNC-Lavalin fait l'objet d'un procès, elle serait la première entreprise à subir ce sort.

Cela place le Canada en queue de peloton parmi les 44 pays signataires de la Convention anticorruption de 1999 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le Canada a adopté sa loi après avoir signé la convention, qui vise à recruter des pays plus riches pour lutter contre la corruption de leurs propres citoyens et entreprises dans des pays plus pauvres.

Il y a huit ans, l'OCDE a fait part de ses préoccupations concernant le laxisme dans l'application de la loi, et le Canada avait réajusté le tir ; mais le nombre d'accusations et de condamnations depuis demeure faible.

Patrick Moulette, responsable de la division anticorruption de l'OCDE, a indiqué en entrevue avec La Presse canadienne que son organisme procéderait à un nouvel examen de l'application de la Convention sur la corruption par le Canada en 2021. Il n'a donc pas pu dire immédiatement s'il y a des améliorations à apporter depuis la dernière évaluation en 2011.

Le Canada a signalé à l'OCDE qu'il y avait 35 enquêtes en cours sur la corruption transnationale en 2013. Au cours des six années qui se sont écoulées depuis, quatre accusations ont été portées.

L'organisme Transparency International Canada, qui travaille à combattre la corruption dans le monde, a abaissé le rang du Canada, qui est passé d'une « application modérée » à une « application limitée » l'an dernier, étant donné qu'une seule nouvelle accusation a été déposée depuis 2016. Dans ce cas, lié à l'achat d'un avion en Thaïlande, l'accusation a été abandonnée moins d'un an plus tard.

Une révision nécessaire

Joanna Harrington, professeure de droit à l'Université de l'Alberta, a souligné que le nombre d'accusations n'était pas la seule indication pour évaluer l'efficacité d'une loi, car le Canada aide d'autres pays à rassembler des preuves et la loi est également utilisée pour éduquer et dissuader les auteurs d'infractions. Néanmoins, a-t-elle dit, il est temps de regarder cette affaire de plus près.

« Nous en avons eu vingt ans, le moment est venu de l'examiner », a-t-elle soutenu, ajoutant que la loi initiale avait été adoptée avec seulement deux jours de débat.

En vertu de la loi, les enquêtes sont gérées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui a créé une division spéciale avec des unités à Calgary et à Ottawa en 2008. Les poursuites sont gérées par le Service des poursuites pénales du Canada.

David Taylor, directeur des communications du ministre de la Justice, David Lametti, a assuré que le gouvernement avait « une confiance totale » dans les enquêtes et les poursuites judiciaires intentées en vertu de cette loi.

« Le Canada est déterminé à lutter contre la corruption et a pris des mesures importantes pour dissuader les entreprises et les citoyens canadiens de verser des pots-de-vin à des agents publics étrangers dans le cadre de leurs activités », a-t-il déclaré.

Arrivée des accords de réparation

Mme Harrington juge toutefois qu'une révision de la loi serait nécessaire, en raison de la confusion autour de l'utilisation de cette loi et de l'ajout, l'an dernier, des « accords de poursuite suspendue » - il s'agit d'un moyen d'éviter des poursuites si une entreprise faisant l'objet d'accusations reconnaît ses torts, accorde une réparation et instaure des réformes internes conséquentes. Si l'entreprise respecte ces conditions pendant un certain temps, les accusations sont abandonnées.

« Le problème que nous avons, c'est que nous avons cette loi vieille de 20 ans, et le gouvernement a ajouté l'an dernier les accords de réparation, et maintenant, nous ne sommes pas certains que tout cela fonctionne ensemble », a-t-elle soutenu.

C'est au sujet de cette affaire que le premier ministre Justin Trudeau et son personnel auraient tenté de pousser l'ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould à négocier un accord de réparation pour éviter à la firme montréalaise un procès au criminel. Le premier ministre Trudeau a nié avoir fait des pressions indues sur son ancienne ministre.

Plus tôt cette semaine, le Groupe de travail de l'OCDE sur la corruption s'est dit préoccupé par cette situation et a assuré qu'il suivrait le dossier de près.