Participer à un système de collusion pour truquer les prix de contrats publics valant des millions, c'est une offense très grave, qui mine les fondements de l'État de droit et qui mérite un séjour en prison plutôt qu'une simple peine à purger dans la collectivité. Voilà ce qu'a décrété la Cour d'appel aujourd'hui en annulant les peines trop clémentes imposées en première instance à trois entrepreneurs.

Pasquale Fedele, Jacques Lavoie et Patrick Alain sont d'anciens dirigeants de l'entreprise de construction Civ-Bec, qui avait remporté frauduleusement d'importants contrats de travaux publics en Montérégie, notamment auprès de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Les dirigeants de Civ-Bec avaient participé à un système de collusion avec des concurrents qui avaient accepté de leur laisser le champ libre afin qu'ils remportent des contrats de plus de 15 millions. En l'absence de concurrence, les prix exigés étaient gonflés artificiellement.

Après leur arrestation pour l'Unité permanente anticorruption (UPAC) en 2012, ils ont subi un long procès impliquant près de 30 témoins, qui a mené à un verdict de culpabilité de fraude, complot, fabrication et utilisation de faux documents l'an dernier.

Une culture répandue

Le juge de la Cour du Québec Stéphane Godri avait imposé des peines à purger dans la collectivité variant de 18 à 24 mois aux trois ex-dirigeants, en se basant sur une série de facteurs jugés atténuants : aucun fonctionnaire n'avait été corrompu, le système de collusion n'était pas très compliqué, la fraude était plutôt « standard » et résultait d'une certaine culture répandue dans le milieu de la construction, observait-il.

« On peut parler d'une certaine culture qui existait dans le domaine de la construction et des grands chantiers, à cette époque. Ce qui a facilité le passage à l'acte, de la part de tous et chacun », avait constaté le magistrat.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avait porté les sentences en appel et réclamé qu'on envoie la bande derrière les barreaux. La Cour d'appel s'est rangée à ses arguments.

Ne pas banaliser

« Les peines dans cette affaire sont nettement en marge des principes de réprobation et de dénonciation collectives. Les conséquences très graves, à la fois financières et sociales, d'un système organisé de collusion dans l'octroi de contrats de travaux publics requièrent l'imposition de peines qui démontrent que de tels systèmes ne seront ni banalisés ni tolérés par les tribunaux », écrivent les trois juges à avoir entendu l'appel.

La fraude par collusion sur en matière de travaux publics, si elle n'est pas endiguée, « peut mener à terme à une perte de crédibilité dans les institutions politiques et sociales et saper ainsi les assises même de la primauté du droit », ajoutent-ils.

La peine dans un tel cas doit refléter « un système de valeurs sociales » qui découle non seulement du Code criminel, mais « des valeurs communes que partagent les citoyens d'un pays libre et démocratique », écrivent les juges. Or, la décision du juge de première instance avait pour effet la « minimisation » et même « la banalisation des comportements hautement répréhensibles » des accusés.

Les peines d'emprisonnement dans la collectivité ont donc été remplacées par des peines de prison ferme : 36 mois pour Pasquale Fedele, 24 mois pour Jacques Lavoie et 18 mois pour Patrick Alain.

Les trois hommes ont 96 heures pour se constituer prisonniers.