Psychoéducateur pendant 27 ans, Sylvain Villemaire s'est consacré aux élèves en difficulté et aux décrocheurs de l'est de Montréal. Mais le nouveau retraité aurait vécu une double vie. Pendant trois ans, il aurait soumis à de sordides sévices sexuels une fillette apeurée d'être « rapportée en Afrique ». Un crime « inexpliqué et inexplicable », selon une juge.

L'homme de 57 ans est accusé de traite de personne âgée de moins de 18 ans, une grave accusation assimilable à de l'esclavage moderne et passible d'une peine minimale de cinq ans. Il fait également face à des accusations de possession et distribution de pornographie juvénile, d'agression sexuelle, de contacts sexuels et d'incitation à des contacts sexuels.

« [Il] semblait cacher une autre vie. [...] Il était psychoéducateur dans les écoles et s'occupait d'enfants en difficulté », a affirmé la juge Anne-Marie Lanctot en juin dernier.

« Qui de mieux placé qu'un psychoéducateur pour connaître l'impact que peut avoir une situation d'abus sexuel sur de jeunes enfants ? Qui de mieux que lui peut voir les ravages que peuvent causer des abus sexuels sur des enfants ? » - La juge Anne-Marie Lanctot

Qualifiant d'« accablante » la preuve à son endroit, la juge a refusé de remettre en liberté Sylvain Villemaire jusqu'à la tenue de son procès afin d'assurer la protection du public et pour ne pas miner leur confiance dans le système de justice. À cette étape des procédures, c'était à la Couronne de convaincre le tribunal de garder en détention l'accusé, qui conserve toujours par ailleurs sa présomption d'innocence.

« Les faits sont extrêmement graves », a résumé la procureure de la Couronne Roxane Laporte en présentant la preuve de la poursuite à l'enquête sur remise en liberté. Le psychoéducateur aurait agressé sexuellement une victime « extrêmement vulnérable » de l'âge de 8 à 11 ans. La fillette était prête à « tout faire [...] de peur d'être rapportée en Afrique », a plaidé Me Laporte. L'identité de la victime est protégée par une ordonnance de non-publication.

PORNOGRAPHIE JUVÉNILE ET PERQUISITION

L'étau s'est resserré sur Sylvain Villemaire en mai dernier, lorsque des enquêteurs ont découvert qu'il partageait de la pornographie juvénile sur internet. Selon la poursuite, il aurait notamment diffusé une vidéo montrant un jeune garçon se faire sodomiser par un adulte. Des dizaines de vidéos et de photos de pornographie juvénile ont été retrouvées dans un fichier nommé « Sexe » qui se trouvait sur le bureau de son ordinateur.

La perquisition à la résidence de Sylvain Villemaire a toutefois fait prendre un virage inattendu à l'enquête. Les policiers ont mis la main sur un Duo-Tang caché dans sa chambre dans lequel se trouvaient des photos imprimées de jeunes enfants « relativement nus », des dessins de positions sexuelles et, surtout, une lettre visiblement écrite par un enfant.

« Je sais que je dois être ta femme et ta maîtresse [...], je ferais de mon mieux pour le faire avec amour. S'il te plaît, je ne veux pas aller en Afrique, ce sera un grand plaisir pour moi et pour toi que je sois ta femme et ta maîtresse », peut-on lire dans la lettre.

Le cauchemar de l'enfant commence à l'âge de 8 ans. Sylvain Villemaire lui demande de l'embrasser et de « faire l'amour » avec lui. La fillette demande à sa mère si elle est obligée de le faire et celle-ci lui répond par l'affirmative. L'accusé l'agresse sexuellement tous les quatre mois environ et lui fait également porter des collants et des déshabillés, toujours selon la preuve présentée par la Couronne.

Sylvain Villemaire a expliqué à la cour souffrir d'un cancer gastrique généralisé diagnostiqué il y a deux ans. Son avocate, Me Safaa Essakhri, a d'ailleurs tenté de convaincre le tribunal que Sylvain Villemaire était « physiquement incapable de récidiver » pour obtenir sa remise en liberté. Un argument « douteux », selon la juge Lanctot. « Votre argument tient plus ou moins la route », a-t-elle rétorqué.

La voix affaiblie, Sylvain Villemaire a raconté lors de son enquête sur remise en liberté avoir pris sa retraite à peine un mois avant de recevoir son diagnostic en juillet 2016.

Il a travaillé pendant presque trois décennies comme psychoéducateur à la Commission scolaire de la Pointe-de-l'île, dont les 16 dernières années à l'école secondaire Calixa-Lavallée à Montréal Nord. « Je travaillais avec des décrocheurs et des élèves avec des troubles de comportement », a-t-il dit. 

La Presse l'avait d'ailleurs interviewé dans le cadre d'un reportage sur cette école en 2009. « On travaille avec des ados qui ont beaucoup de potentiel. Parfois la porte s'ouvre au bon moment, mais souvent, elle se ferme », déplorait M. Villemaire à l'époque.

L'accusé était de retour en cour la semaine dernière. Son procès devrait durer au moins 4 ou 5 jours, a-t-on appris.