Un pistolet lancé d'un véhicule de patrouille à un autre, une participation à un triathlon sous une fausse identité pendant un congé d'invalidité et des mensonges à répétition après avoir fait ses emplettes avec un véhicule de service : les dossiers disciplinaires peu reluisants de policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le retard à les divulguer ont permis à deux condamnés de s'en sortir à bon compte plus tôt cet été, a appris La Presse.

Au total, huit des policiers fédéraux impliqués dans une enquête sur un réseau de production et d'exportation de cannabis de la Montérégie, baptisé «Réseau Vesnaver», avaient une tache à leur dossier disciplinaire, selon une lettre confidentielle de la Couronne fédérale dont nous avons obtenu copie.

Le réseau a été démantelé en 2010. Douze accusés ont rapidement plaidé coupable. Mais la cause de deux des individus soupçonnés d'être des trafiquants - Dominic Dupuis et Daniel Sénécal - s'est rendue jusqu'au procès. Ils ont été condamnés à deux et quatre ans de prison respectivement pour leur implication, puis ont contesté ce jugement jusqu'à la Cour d'appel.

Quelques jours avant l'audience, l'hiver dernier, la procureure fédérale au dossier leur a envoyé la lettre dont La Presse a obtenu copie, révélant que les enquêteurs au dossier n'étaient pas blancs comme neige. L'accusation a normalement l'obligation de dévoiler sans délai à la défense toute inconduite d'un policier s'il est raisonnable de penser qu'elle risque d'avoir des répercussions sur le dossier. Par exemple, un policier qui témoigne pourrait voir sa crédibilité compromise s'il a déjà subi des sanctions disciplinaires pour avoir menti.

Devant ce retard de plusieurs années, la Couronne ne s'est pas opposée à ce que la Cour d'appel annule le premier procès de MM. Dupuis et Sénécal.

«Ces renseignements pouvaient probablement affecter la crédibilité des policiers et la stratégie de la défense dans la conduite du procès», ont décidé les trois juges, en mai dernier, après une rencontre à huis clos avec les avocats des deux parties.

La Couronne fédérale a choisi de ne pas réclamer de nouveaux procès : les deux condamnés sont maintenant libres comme l'air. Un long procès et deux peines de prison substantielles sont ainsi partis en fumée.

Un policier menteur

Les 12 individus qui avaient plaidé coupable ont aussi reçu copie de la lettre.

Les 14 membres du réseau ont ainsi tardivement appris qu'un enquêteur de la GRC affecté au dossier avait été suspendu pendant cinq jours pour avoir - l'année même de leur arrestation - tenu des propos «faux, trompeurs ou inexacts» à deux supérieurs : le policier était allé faire des emplettes chez Costco avec un véhicule de travail et s'était «fait vol[er] des articles importants appartenant à la GRC» à ce moment.

D'autres enquêteurs se sont fait imposer des sanctions plus légères pour avoir bousculé un agent des services frontaliers ou pour avoir fait feu accidentellement par négligence. Un autre a été sanctionné pour avoir tiré dans les pneus d'un suspect. C'est le même policier qui a été épinglé pour avoir lancé son pistolet d'une auto à l'autre.

La lettre fait aussi état d'allégation d'inconduite contre une policière qui aurait fait des rénovations résidentielles et aurait même concouru à un triathlon sous un faux nom «alors qu'elle était inapte à toute forme de travail [tant] physique que sédentaire et administratif». Le dossier n'était pas clos en mars dernier.

Délai involontaire

Sollicitée par La Presse, la GRC a admis qu'un retard dans la transmission était survenu. «Le délai dans la transmission des dossiers à la Couronne fédérale n'a pas été délibéré», a indiqué par écrit le caporal Érique Gasse, chargé des communications du corps de police. «Les informations requises ont été transmises à qui de droit, et ce, dès réception de la demande écrite de la Couronne.»

Le caporal Gasse a précisé que les procédures de la GRC prévoient que tout enquêteur impliqué dans un dossier qui mène à des accusations doit remplir lui-même un formulaire pour «divulguer les conclusions d'inconduite grave prononcées contre lui ou toute inconduite qui risque d'avoir des répercussions sur la poursuite».

Le torpillage d'une condamnation en raison d'un tel délai ne s'est pas reproduit, selon le policier. «À la lumière des informations obtenues à l'interne, il n'existe pas d'autre cas semblable à la Division C (GRC Québec)», a-t-il dit.

Me André Albert Morin, patron de la Couronne fédérale pour le Québec, a indiqué en entrevue qu'il était satisfait de la façon dont ses services avaient traité la situation. «À ma connaissance, nos procédures ont été respectées», a affirmé l'avocat. «Je peux vous assurer que ce n'était pas sur le bureau de Me Cloutier [pendant huit ans], mais le reste ne m'appartient pas.»

Ses équipes sont-elles déçues de voir deux longs procès et deux condamnations partir en fumée? «Notre rôle, c'est de nous assurer qu'une preuve qui doit être présentée à la Cour soit présentée à la Cour avec tout le professionnalisme possible», a-t-il répondu. Il a souligné que 12 autres accusés, dont la tête dirigeante du réseau, avaient été condamnés.

Me Robert Jodoin, avocat de MM. Sénécal et Dupuis, n'a pas voulu commenter la situation.