Deux ans et demi après sa condamnation pour le meurtre de sa belle-fille, la belle-mère de la fillette de Granby n’a pas dit son dernier mot. Dans l’espoir d’obtenir un nouveau procès, la meurtrière déplore dans son mémoire d’appel plusieurs erreurs commises, selon elle, par les juges, de la fouille abusive de son téléphone à des textos « incendiaires » déposés en preuve.

Le meurtre de la « fillette de Granby » a marqué le Québec, il y a cinq ans. L’enfant de 7 ans est morte asphyxiée par du ruban adhésif posé sur sa bouche par ses bourreaux. Le procès de sa belle-mère s’est conclu en décembre 2021 par un rapide verdict de culpabilité de meurtre au second degré. La femme de 40  ans a été condamnée à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 13 ans.

Depuis, les procédures d’appel traînent en longueur. Ce n’est que dans les dernières semaines que la belle-mère et la Couronne ont finalement produit leur mémoire d’appel. Comme les parties n’ont toujours pas plaidé devant la Cour d’appel, une décision cette année semble improbable. D’autant plus que le dossier fait 15 000 pages.

La belle-mère réclame un nouveau procès pour huit motifs distincts. Dans un mémoire d’appel d’une quarantaine de pages obtenu par La Presse, son avocat, MMaxime Hébert Lafontaine, relève plusieurs erreurs « déterminantes » et « sérieuses » commises par trois juges. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) réplique que les juges n’ont commis aucune erreur.

Des textos obtenus sans autorisation

Les échanges de messages textes entre la belle-mère et le père de la fillette étaient au cœur du procès. Et ils sont au cœur de l’appel. Selon l’appelante, le juge François Huot aurait dû les exclure de la preuve, puisqu’ils ont été obtenus en violant les droits de l’accusée. En effet, l’enquêteur a fouillé le cellulaire de la femme avant d’obtenir une autorisation judiciaire.

Le juge Huot a conclu avant le procès que l’enquêteur n’aurait pas dû procéder ainsi, car il n’y avait « aucune urgence ». Même s’il y avait violation des droits de l’accusée, le juge a estimé que l’intrusion étatique était « minimale », puisque le policier avait « documenté ses démarches ».

En appel, la belle-mère insiste sur le fait que le juge n’a pas considéré adéquatement la « gravité » de la conduite du policier. L’impact de cette violation sur les droits de l’accusée est « très grave, voire extrême », selon l’appelante.

Au procès, la Couronne a utilisé certains messages textes pour démontrer que la belle-mère avait développé une « aversion » et un « dégoût » pour la fillette. De fait, ces sentiments l’habitaient depuis longtemps, disait la poursuite, en se basant sur les échanges.

Selon l’appelante, le juge Louis Dionne a erré en permettant le dépôt en preuve de ces messages textes assimilables à une preuve de « propension » ou de « conduite indigne ».

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Preuve déposée durant le procès de la belle-mère de la fillette de Granby

L’appelante soutient que les messages textes avaient un « caractère incendiaire », mettant en avant la mauvaise moralité de l’accusée envers sa belle-fille dans les mois ayant précédé le meurtre. Cette preuve « déshonorante » présentait l’accusée de manière « très répréhensible », poursuit l’appelante. Les textos devaient donc être exclus.

De plus, le juge Dionne n’a donné aucune directive au jury sur ce type de preuve. Une « sérieuse » erreur de droit, selon l’appelante.

Selon le DPCP, le juge a au contraire bien considéré l’effet préjudiciable des messages textes avant de rendre sa décision. Il en a d’ailleurs exclu pour cette raison. Également, les textos de l’accusée étaient « très importants » pour comprendre son « état d’esprit », relève la Couronne.

Le « chemin » remis en cause

L’appelante reproche aussi au juge Dionne d’avoir permis l’ouverture du chef de meurtre par un chemin moins fréquenté. Généralement, une personne est accusée de meurtre parce qu’elle avait l’intention de causer la mort de la victime ou de blesser celle-ci sachant que cela la tuerait.

Mais au procès de la belle-mère, ce « chemin » standard n’était pas permis. Pour la déclarer coupable de meurtre au second degré, le jury devait plutôt conclure qu’elle avait séquestré l’enfant dans une « fin illégale ». Une grille d’analyse passablement complexe. Or, selon l’appelante, ce « chemin » ne pouvait pas s’appliquer. C’est pourquoi la défense réclamait seulement l’ouverture d’un verdict d’homicide involontaire.

De plus, le juge s’est trompé dans ses directives, selon l’appelante, en n’expliquant pas aux jurés qu’ils devaient considérer l’état de panique de l’accusée au moment des faits. Au procès, la belle-mère a témoigné avoir été « paralysée » devant les agissements de son conjoint et qu’elle s’était « effondrée en pleurs », rappelle le mémoire. Or, le juge n’a pas rappelé ces éléments au jury.

Finalement, l’appelante reproche au juge Charles Ouellet d’avoir changé le district judiciaire où se tiendrait le procès sans laisser les parties se prononcer. Pourtant, le juge avait répété « plusieurs fois » aux parties qu’il demanderait leur avis avant de se prononcer.

L’histoire jusqu’ici

28 au 29 avril 2019
La fillette de 7 ans est tuée par sa belle-mère. L’enfant avait été ligotée à une chaise.

9 décembre 2021
La belle-mère de la fillette de Granby est reconnue coupable de meurtre au second degré et de séquestration.

7 janvier 2022
Le père de la fillette est condamné à quatre ans de pénitencier. Il avait plaidé coupable à un chef de séquestration.

Précision
Dans une version antérieure de l'article, nous écrivions que la victime était attachée à une chaise. Or, elle se trouvait plutôt au sol.