L’ancien scientifique de l’Agence spatiale canadienne (ASC) Wanping Zheng, arrêté par la Gendarmerie royale du Canada en 2021 dans le cadre d’une enquête sur ses liens avec une entreprise chinoise de satellites, a été acquitté des accusations d’abus de confiance vendredi matin.

Le juge Marc-Antoine Carette a rendu sa décision au palais de justice de Longueuil. Selon le magistrat, l’accusé a commis plusieurs erreurs de jugement sérieuses et sa conduite méritait certainement des sanctions disciplinaires.

« M. Zheng a admis dans une déclaration qu’il est allé trop loin », a souligné le juge.

Mais pour le magistrat, la poursuite n’a pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable que ces agissements constituaient un crime. Le juge a rappelé que dans notre système, « l’accusé n’a pas à prouver son innocence ».

Il s’agit d’un revers pour l’appareil de contre-espionnage canadien, au moment même où une commission d’enquête publique étudie l’ingérence de la Chine dans les affaires canadiennes à Ottawa. Lors de l’arrestation de Wanping Zheng en 2021, un responsable de la GRC avait déclaré qu’il s’agissait d’un cas d’ingérence étrangère de la Chine.

Des entreprises canadiennes sollicitées

La thèse de la poursuite était que Wanping Zheng avait utilisé son poste clé à l’Agence spatiale canadienne pour favoriser les intérêts de l’entreprise chinoise Spacety, en prenant contact avec des entreprises canadiennes et en les incitant à travailler pour la société chinoise. Ces partenaires étaient en position de dépendance face à l’Agence spatiale canadienne et l’un d’eux est venu raconter au tribunal qu’il se sentait mal de refuser, car il ne voulait pas froisser M. Zheng, dont il avait besoin pour ses projets.

M. Zheng souhaitait notamment qu’une entreprise canadienne aide la firme chinoise à installer une station terrestre de communications satellitaires en Islande.

M. Zheng a aussi sollicité une autre entreprise canadienne au sujet de la construction et du lancement d’une cinquantaine de satellites au profit de la firme chinoise. Il n’a pas dévoilé ces démarches à ses patrons et a même menti au sujet de ses activités.

À la fin de sa carrière à l’Agence spatiale canadienne, M. Zheng est devenu vice-président chez Spacety.

M. Zheng n’a pas témoigné à son procès, mais la Couronne a diffusé un enregistrement vidéo des déclarations qu’il a faites aux policiers après son arrestation en 2021. L’homme disait être loyal envers le Canada, le pays où il a immigré après avoir quitté la Chine. Il avait expliqué qu’il souhaitait simplement favoriser la coopération internationale dans le milieu de l’exploration spatiale.

« Je n’ai rien fait pour nuire au pays. J’essaie d’aider le pays », lançait-il à un enquêteur dans la vidéo.

La poursuite était représentée par MMarc Cigana et MSamuel Monfette-Tessier, du Service des poursuites pénales du Canada. La défense était assurée par MAndrew Barbacki et MJordan Trevick.

Manque de compréhension des règles

Wanping Zheng n’a pas voulu s’adresser aux médias après la lecture du jugement. MBarbacki a dit que toute cette saga avait été très difficile pour lui.

Il manquait ce qu’on appelle un esprit coupable. M. Zheng a peut-être agi comme un mauvais employé, mais il n’a rien fait de criminel. Le juge a remarqué aussi qu’il manquait un peu de compréhension des règles de conflit d’intérêts.

MAndrew Barbacki, avocat de Wanping Zheng

« Il n’a rien fait pour la Chine, il travaillait pour une compagnie privée et il n’aurait pas dû le faire », a résumé MBarbacki, tout en remerciant les procureurs de la Couronne pour leur travail très efficace et leur professionnalisme.

« Nous allons étudier le jugement et évaluer nos options. Évidemment, un appel sera étudié », a déclaré le procureur de la Couronne Marc Cigana.

L’an dernier, la firme Spacety a été frappée de sanctions par le gouvernement américain, qui prétend qu’elle a fourni des services d’imagerie satellite au bénéfice des mercenaires du groupe Wagner, dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine. L’entreprise a démenti ces allégations.

L’histoire jusqu’ici

Septembre 2015 : Les services de renseignement canadiens avertissent la direction de l’Agence spatiale qu’ils sont inquiets du « niveau de fiabilité » de Wanping Zheng, sans révéler la cause de leur inquiétude.

Décembre 2018 : L’Agence déclenche une enquête interne sur son employé, qui se met en congé de maladie.

Décembre 2021 : La Gendarmerie royale du Canada arrête M. Zheng. Il est accusé d’abus de confiance.

Septembre 2023 : Le procès de M. Zheng a lieu, et un enregistrement de son interrogatoire par la police est déposé en preuve. « Je suis loyal envers le Canada », l’entend-on dire.