Un professeur de musique de l’Université McGill est poursuivi au civil aux États-Unis par deux anciennes étudiantes disant avoir été agressées sexuellement à l’époque où il enseignait en Californie. Des allégations que le professeur nie vigoureusement.

Axel Strauss, violoniste et professeur de musique d’origine allemande qui enseigne à l’École de musique Schulich de McGill, à Montréal, depuis 2012, fait l’objet d’une poursuite pour agression sexuelle intentée par deux anciennes étudiantes américaines, qui l’ont côtoyé lorsqu’il enseignait au Conservatoire de musique de San Francisco.

Les deux femmes ont déposé une poursuite civile conjointe le 28 décembre dernier contre lui pour voies de fait et agression sexuelle. Les évènements qui y sont détaillés se seraient produits entre 2007 et 2009 alors qu’elles étaient âgées de 18 ans.

Elles accusent M. Strauss d’avoir profité de « son autorité, de son statut et de son pouvoir » en tant que violoniste de renom et professeur de musique pour « s’approcher d’elles, les manipuler et les agresser sexuellement ».

Elles évoquent notamment les séquelles émotionnelles et psychologiques passées et présentes qu’elles ont subies.

Le Conservatoire de musique de San Francisco est également poursuivi par les deux femmes, qui accusent la direction de l’établissement d’avoir été au courant des agissements de M. Strauss et de n’avoir rien fait pour les protéger.

Pire encore, le Conservatoire avait pour politique de « permettre les relations sexuelles entre les membres de la faculté de musique et les étudiant/es », pourvu qu’elles soient rapportées « par les membres de la faculté », détaille la poursuite. Mais comme M. Strauss était marié, il aurait préféré garder ses relations « secrètes », apprend-on.

Réactions de McGill

Axel Strauss, 50 ans, qui enseignait au Conservatoire de musique de San Francisco avant d’être embauché par l’Université McGill en 2012, est actuellement « en congé », peut-on lire sur le site de l’université montréalaise. Le doyen de l’École de musique de McGill, Sean Ferguson, a refusé de répondre à nos questions, mais dans un courriel envoyé à La Presse, le Service des relations avec les médias a indiqué avoir pris connaissance de la poursuite visant Axel Strauss le 26 janvier dernier en soirée.

« L’Université McGill s’engage à appliquer pleinement et équitablement ses politiques dans tous les domaines, y compris sa Politique contre la violence sexuelle, écrit le Service des relations avec les médias. Cela dit, l’Université ne commentera pas les allégations concernant une procédure judiciaire en cours impliquant un membre du corps professoral. »

L’Université McGill a refusé de préciser si M. Strauss continuerait d’enseigner dans son établissement, s’il serait suspendu ou congédié.

« L’Université McGill considère que les conditions d’emploi des membres de ses facultés sont des renseignements relevant de la vie privée de ces personnes et donc ne divulgue pas ces informations. »

Joint par La Presse, l’avocat américain qui représente M. Strauss, Me John-Paul Deol, de la firme Dhillon Law Group, a indiqué que son client « nie complètement et sans équivoque les allégations des plaignantes » et qu’il compte se « battre en cour contre les prétentions des deux femmes ». Me Deol estime de plus que la poursuite est « sans mérite » vu qu’elle a été déposée après autant d’années après les faits allégués.

Dans la poursuite de 27 pages, la première plaignante, Jane Doe, qui n’est pas identifiée, une mesure visant à protéger sa vie privée, allègue s’être tournée vers Axel Strauss en 2007 pour se préparer à un récital. Elle avait décidé de changer de professeur à la suite de plusieurs incidents malheureux survenus avec son ancien professeur, qui la frappait avec son archet lorsqu’il n’était pas content d’elle, selon la poursuite.

À la suite du premier cours particulier qu’il lui donne (le soir), le professeur Strauss l’aurait invitée à prendre un verre dans un bar, non loin de l’École de musique. L’étudiante allègue avoir refusé plusieurs fois, mais le professeur aurait tellement insisté qu’elle aurait fini par accepter, parce qu’elle se sentait « redevable ». Après tout, il avait accepté de l’aider à se préparer pour ce récital.

À la fin de la soirée, selon le récit de Jane Doe, le professeur la raccompagne chez elle, s’invite dans son appartement, et une fois à l’intérieur, l’embrasse de force, puis l’étale au sol. Il déboutonne son pantalon, agrippe sa main qu’il pose sur son sexe, jusqu’à ce qu’elle le repousse et lui lance : « Je ne veux pas faire ça ! » Axel Strauss, qui est alors âgé de 33 ans, quitte finalement l’appartement.

La plaignante explique qu’elle aurait mis les choses au clair avec le professeur Strauss après cet épisode, insistant sur le fait qu’elle n’avait aucune envie d’être en relation avec lui.

Elle explique avoir songé à déposer une plainte, mais que « le directeur du service aux étudiants était au courant d’autres relations sexuelles abusives de l’enseignant avec des élèves, et qu’aucune mesure n’avait été prise contre lui ».

Inquiète à l’idée de ne pas avoir de « recommandation » positive du professeur et du Conservatoire, elle choisit de ne rien dire. Mais alors qu’elle obtenait jusque-là d’excellents résultats scolaires, ses notes ont commencé à chuter. Elle a finalement quitté le Conservatoire sans obtenir son diplôme.

Le cas de Lara Michaels

L’histoire de la deuxième plaignante, Lara Michaels, commence à peu près de la même façon. À deux reprises, la jeune femme dit avoir repoussé les avances de son professeur. La première fois, il lui aurait massé la nuque et l’aurait invitée à « briser les règles » ; la deuxième fois il lui aurait caressé la jambe après avoir intentionnellement laissé tomber son téléphone à ses pieds, dans sa voiture – il lui aurait offert de la ramener chez elle.

La jeune femme croyait avoir bien géré la situation en lui disant qu’elle ne souhaitait pas avoir de relations avec lui. Mais en décembre 2008, à la suite d’une fête à laquelle participaient des étudiants, mais où se trouvait également le professeur Strauss, qui avait acheté des boissons alcoolisées pour plusieurs étudiants, la jeune femme se serait de nouveau retrouvée seule avec lui.

Selon son récit des évènements, Axel Strauss lui a proposé de la ramener chez elle après la fête, mais il se serait arrêté sur une route qui traverse Golden Gate Park, dans un endroit désert. Là, il aurait embrassé Lara Michaels et l’aurait forcée à lui faire une fellation. Il lui aurait également fait des attouchements aux parties génitales. Elle dit s’être sentie « prise au piège », « désespérée » et « incapable de s’échapper de manière sécuritaire ».

D’après Lara Michaels, c’est le début d’une série d’agressions récurrentes qui dureront un an. Lara Michaels explique qu’elle ne pouvait dénoncer son professeur, protégé par le Conservatoire. Tout le monde était au courant de sa « relation abusive » avec lui, relate-t-elle.

Elle a finalement quitté le Conservatoire, mais n’a jamais pu poursuivre la carrière musicale dont elle rêvait, traumatisée par les évènements qu’elle aurait vécus.

Les deux femmes réclament des dommages et intérêts ainsi que des dommages punitifs. Contrairement aux poursuites civiles déposées au Québec, qui sont toujours chiffrées, la somme demandée par les plaignantes sera déterminée durant le procès, en fonction de la preuve – si l’histoire se rend jusque-là – par les membres du jury.

La poursuite civile a pu être déposée même si les évènements se sont produits il y a plus de 15 ans grâce à l’adoption, en 2022, d’une loi – California Adult Survivor Act – qui permet aux victimes d’agressions sexuelles de porter plainte depuis le 1er janvier 2023, pour une période de trois ans.