Le Conseil de la magistrature lance une enquête sur la juge Joëlle Roy, qui avait fustigé le chroniqueur de La Presse Yves Boisvert en plein procès l’automne dernier en se dépeignant comme une femme victime de « violence ». Une grande patronne du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) fait partie des plaignantes.

« Il y a lieu de référer les plaintes à un comité d’enquête afin que celui-ci détermine si les propos de la juge constituent des manquements à ses obligations déontologiques de réserve et de sérénité, et s’ils ont autrement contribué à miner la confiance du public envers le système de justice », conclut le Conseil de la magistrature du Québec dans une décision rendue publique mercredi.

Une audience sera donc tenue prochainement pour déterminer si les plaintes doivent être retenues. Si c’est le cas, la juge Roy s’expose à une réprimande, voire la destitution.

Les propos étonnants de la juge Joëlle Roy font suite à une chronique d’Yves Boisvert publiée en octobre dernier. Le chroniqueur y analysait l’acquittement prononcé par la juge dans le dossier d’un thérapeute accusé d’avoir agressé sexuellement une patiente.

Dans son jugement, la juge Roy reprochait à la plaignante de ne pas s’être rhabillée et de ne pas avoir ouvert les yeux pendant les faits. Selon Yves Boisvert, la juge avait essentiellement perpétué le mythe de la « bonne victime ». Le chroniqueur remettait aussi en question le jugement de la juge, dont les décisions ont été maintes fois infirmées par les tribunaux d’appel.

Le matin de la parution de la chronique, la juge Roy pleurait en salle d’audience, alors qu’elle devait présider un procès pour inceste. Elle qualifiait la chronique d’« attaque personnelle […] très vicieuse » et « tellement injuste ». À un moment, la juge a dit à la procureure vouloir « aller rejoindre » la plaignante qui se trouvait alors avec les intervenants du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels.

Réplique le lendemain

Le lendemain, toujours pendant un procès pour inceste, la juge Roy a répliqué à la chronique d’Yves Boisvert dans un mot préparé. « C’est une violence que j’ai choisi de dénoncer ce matin. Ce n’est plus du journalisme, mais de l’abus d’opinion, de l’abus du pouvoir des mots », a affirmé la juge Roy.

« L’article d’hier de M. Yves Boisvert dans La Presse était d’une grande violence à mon égard. Une violence de celle que l’on voit, malheureusement, devant les tribunaux à tous les jours. Ce n’est plus la juge que l’on attaque, mais la femme. Une femme qui ne peut de surcroît se défendre, car sa profession lui oblige, lui confine », a-t-elle déclaré.

Même le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette s’était dit « perplexe » devant les déclarations de la juge. « Je pense aux personnes victimes qui devaient aller témoigner ce matin-là, et le procès n’a pas eu lieu », avait commenté le ministre.

Plainte au Conseil de la magistrature

Les propos de la juge Roy ont poussé une citoyenne et MSophie Lamarre, directrice adjointe du Service des poursuites criminelles au DPCP à porter plainte au Conseil de la magistrature.

Selon la citoyenne, la juge Roy a manqué de sérénité. Quant à la représentante du DPCP, elle souligne que certains commentaires de la juge « manquent de sensibilité, peuvent blesser les victimes et miner leur confiance envers le système de justice et, plus largement, celle du public », indique le jugement.

« En salle d’audience, comme généralement en société, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité », indique-t-on dans la décision du Conseil de la magistrature.

La porte-parole du DPCP, MAudrey Roy-Cloutier, explique à La Presse qu’il était de la « responsabilité » du ministère public de dénoncer la situation en tant qu’« intervenant du système judiciaire qui a à cœur les intérêts légitimes des personnes victimes ».

Notons que la juge Roy s’est absentée pendant plusieurs semaines à la suite de son coup d’éclat en salle d’audience. Une autre juge a exceptionnellement dû poursuivre le procès d’inceste pour éviter un arrêt du processus judiciaire en raison des délais Jordan. La juge Roy est toutefois revenue sur le banc il y a quelques jours.