« Si je suis une police, je suis un abuseur sexuel » : les premiers agents du poste de la Sûreté du Québec à Val-d’Or ont commencé à témoigner mercredi des dommages qu’ils auraient subis à la suite de la diffusion, en 2015, d’un reportage de Radio-Canada, qu’ils poursuivent pour diffamation.

L’histoire jusqu’ici

22 octobre 2015

L’émission Enquête diffuse le reportage « Abus de la SQ : des femmes brisent le silence », dans lequel des femmes autochtones disent avoir été victimes de sévices physiques et sexuels de la part de policiers du poste de la Sûreté du Québec à Val-d’Or.

19 octobre 2016

Une quarantaine de ces policiers intentent une poursuite en diffamation contre Radio-Canada, estimant que leur réputation a été entachée.

5 février 2024

Le procès civil s’ouvre à Montréal devant la Cour supérieure.

Une quarantaine de ces agents réclament environ 3 millions de dollars à la société d’État pour les dommages qu’ils disent avoir subis à la suite du reportage en question, intitulé « Abus de la SQ : des femmes brisent le silence ».

La journaliste Josée Dupuis y donnait la parole à plusieurs femmes autochtones qui disaient avoir été victimes d’abus, voire de violence physique et sexuelle, de la part de policiers du poste de la SQ à Val-d’Or.

L’affaire avait fait grand bruit à l’époque en Abitibi-Témiscamingue et forcé le gouvernement Couillard à constituer la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, présidée par Jacques Viens. Une enquête criminelle avait aussi été confiée au Service de police de la Ville de Montréal, mais aucune accusation n’a finalement été portée.

De l’avis des policiers à l’origine de cette poursuite, les allégations présentées par le reportage sont fausses et auraient dû être corroborées par d’autres sources. Huit ans après les faits, le procès civil en diffamation contre Radio-Canada s’est ouvert cette semaine en Cour supérieure, à Montréal.

« Ce n’était pas le comportement que je voyais »

Maxim Baril, Benoît Fortier et Guillaume Morin, tous patrouilleurs au poste de la Sûreté du Québec à Val-d’Or au moment de la diffusion du reportage, le 22 octobre 2015, ont tour à tour raconté, mercredi, le calvaire qu’ils disent avoir vécu.

« Quand j’ai vu [le reportage], je ne comprenais pas, ce n’était pas les comportements que je voyais à Val-d’Or », a témoigné Guillaume Morin. « J’avais vraiment un sentiment de colère, de frustration, mais aussi d’impuissance, parce que c’est Radio-Canada. »

Alors que les relations avec la communauté étaient « normales », elles se sont rapidement détériorées, a-t-il témoigné, racontant être souvent traité de « violeur » durant des interventions.

Je n’aurais jamais pensé, en devenant policier, que les gens auprès de qui j’allais intervenir allaient penser que j’étais un violeur de femmes autochtones.

Guillaume Morin, policier de la Sûreté du Québec à Val-d’Or

Benoît Fortier, policier à la SQ depuis 2008, a témoigné pour sa part avoir été particulièrement marqué par les allégations « d’abus sexuels, d’abus physiques [et concernant des policiers qui se seraient fait] faire des fellations dans les chemins de bois pour 200 $ ».

« Autant de ma part que de [la part de] mes collègues dans le poste, il n’y a jamais eu de tels abus qui ont été commis, à ma connaissance », a-t-il témoigné.

Or, ces allégations ont percolé dans l’esprit du public, particulièrement à Val-d’Or, une municipalité d’environ 33 000 habitants, ont affirmé les policiers.

« J’avais l’impression que le regard des autres était différent, puisque j’étais perçu non pas comme un policier qui fait son travail, mais comme un abuseur sexuel », a raconté Maxime Baril, natif de l’Abitibi-Témiscamingue. « Si je suis une police, je suis un abuseur sexuel. »

Au nom de l’intérêt public

En contre-interrogatoire, l’avocate représentant Radio-Canada, MGeneviève Gagnon, a amené les témoins à nuancer leurs propos. Ces derniers ont notamment reconnu qu’ils faisaient déjà l’objet de certaines insultes dans le cadre de leurs fonctions avant la diffusion du reportage.

Avant le début du procès, la société d’État avait réitéré que le reportage de sa journaliste Josée Dupuis était « d’un grand intérêt public ». « Nous comptons démontrer le sérieux et la rigueur de la démarche journalistique de notre équipe », avait déclaré le premier directeur des communications marketing et des relations avec les médias de la société d’État, Marc Pichette.

Dans sa déclaration d’ouverture, MGeneviève Gagnon avait vanté un reportage « précurseur [ayant] contribué à libérer la parole » à propos de « quelques policiers qui gangrénaient les relations entre policiers et autochtones ».

Le procès doit durer environ 13 semaines et se déroule devant le juge Babak Barin de la Cour supérieure du Québec.