Denis Bégin, surnommé le « tueur de l’Halloween », a avoué qu’il était présent en mars dernier lorsqu’un incendie dévastateur a éclaté dans un immeuble de la place D’Youville. Il prétend toutefois que le feu qui a tué sept personnes a été allumé par un autre individu, dont il a pris la photo. Il s’est lancé dans un marchandage sordide en proposant de donner l’image à la police en échange de divers avantages.

C’est ce qui ressort de rapports détaillés rédigés par le Service correctionnel du Canada, obtenus en primeur par La Presse. Les documents révèlent pour la première fois que des images filmées au début de l’incendie ont permis aux détectives du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) de mettre la main au collet de Bégin, qui demeure leur suspect numéro un, même s’il n’a pas été accusé de ce crime.

Ils dévoilent aussi comment Bégin, un criminel de carrière aux lourds antécédents judiciaires, a réussi à vivre tranquillement à Montréal pendant des années et à créer une entreprise de maintenance d’immeubles sous une fausse identité après s’être échappé du pénitencier à sécurité minimum où il purgeait une peine à perpétuité pour meurtre.

PHOTO FOURNIE PAR LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

Denis Bégin

C’est d’ailleurs dans le cadre de travaux de maintenance qu’il s’est retrouvé à l’immeuble patrimonial du Vieux-Montréal où un incendie criminel a pris naissance, le 16 mars 2023, faisant sept morts et neuf blessés. Il était toujours en fuite après son évasion de prison à ce moment.

Classé deux fois psychopathe

Les rapports du Service correctionnel ont été déposés à la Cour supérieure dans le cadre d’un litige entre Denis Bégin et les autorités carcérales. Lorsque La Presse a révélé qu’il était le suspect numéro un dans l’enquête sur l’incendie criminel du Vieux-Montréal, en octobre dernier, M. Bégin a été transféré contre son gré vers un pénitencier à sécurité maximum. Il demande à un juge d’annuler ce transfert, qui est selon lui injustifié.

Les documents carcéraux le désignent sous son surnom de « tueur de l’Halloween ». Un surnom qui lui avait été donné parce qu’il avait tué un jeune homme à coups de fusil le 31 octobre 1993, devant une foule de fêtards réunis dans un bar, alors qu’il portait un masque de gardien de but comme le personnage de Jason, dans le film Vendredi 13. C’est ce meurtre qui lui a valu une condamnation à la perpétuité.

Denis Bégin, qui multiplie les séjours en prison depuis 1979, a été désigné deux fois comme « psychopathe » au sein du système carcéral. Le diagnostic a ensuite été changé pour celui de « trouble de personnalité antisociale ».

Son côté manipulateur a été souligné à plusieurs reprises lors de ses évaluations en détention. Pourtant, même s’il avait déjà tenté de s’évader une fois et qu’il était soupçonné d’avoir planifié d’autres tentatives d’évasion, il a réussi à obtenir un transfert dans un établissement à sécurité minimum à l’hiver 2019. Quelques jours plus tard, il prenait la clé des champs grâce à un complice venu le chercher en voiture.

Il a reconnu par la suite que son évasion était planifiée de longue date. « Il a donc à nouveau réussi à berner les intervenants », précise l’un des rapports déposés en cour.

Bégin a raconté aux autorités qu’il s’était rapidement procuré de fausses pièces d’identité pour entamer une nouvelle vie après son évasion, car il n’était « plus capable de la prison ». Il a reconnu avoir vécu sous divers noms d’emprunt pendant ses années de fuite et avoir développé une relation amoureuse avec une femme à qui il avait caché sa véritable identité. « Monsieur affirme qu’il menait une vie rangée avec sa conjointe », précise le rapport.

Venu chercher des outils

Sous sa fausse identité, Denis Bégin a fondé une entreprise de maintenance d’immeubles établie dans le Sud-Ouest de Montréal. Il a participé à des travaux de rénovation dans le secteur du Vieux-Montréal, et selon ce qu’il a raconté aux autorités, il est revenu chercher des outils sur un chantier dans l’édifice patrimonial William-Watson-Ogilvie, le 16 mars.

Les rapports du Service correctionnel expliquent que les enquêteurs des crimes majeurs du SPVM ont obtenu des images vidéo d’un véhicule qui s’arrête devant l’immeuble ce jour-là. La vidéo montre un véhicule de même marque et de même couleur que celui que possédait Bégin sous sa fausse identité, pendant sa fuite.

« On y voit le sujet sortir dudit véhicule pour entrer dans l’édifice. Ce dernier en ressort environ 5 minutes plus tard suivi de l’incendie (visible quelques secondes plus tard), puis repart avec son véhicule », relate le rapport.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Pompiers sur les lieux de l’incendie, le 16 mars 2023

Après l’incendie, les policiers ont commencé à rencontrer les différents propriétaires de ce type de véhicule dans la région. Lorsqu’ils sont arrivés à Denis Bégin, sa version les a laissés perplexes : il donnait le nom d’un sans-abri bien connu des services policiers, à qui il ne ressemblait guère.

La Presse a déjà raconté comment une patrouilleuse du poste de quartier 21, dotée d’une connaissance très fine du milieu de l’itinérance au centre-ville, avait flairé la supercherie. Les enquêteurs ont ensuite prélevé les empreintes digitales de leur interlocuteur, selon les documents déposés à la cour.

« C’est suite à cette prise d’empreintes que l’identité de M. Bégin a été dévoilée », précise le rapport carcéral.

« Ce dernier a ensuite été arrêté à titre d’évadé et de suspect dans l’incendie meurtrier », poursuit le texte.

Une photo cachée

En mai dernier, Denis Bégin a donc été ramené derrière les barreaux. Il a été accusé d’évasion et de supposition de personne, mais les enquêteurs n’étaient pas encore prêts à porter des accusations en lien avec l’incendie.

En interrogatoire, Bégin a admis qu’il se trouvait sur place lorsque l’incendie s’est déclaré. Mais il niait l’avoir allumé. Il disait avoir vu quelqu’un d’autre le faire et l’avoir photographié.

« Il dit avoir une photo en sa possession pour prouver l’identité de cette personne (dans un Cloud sécurisé), mais il a tenté d’obtenir un contrat le protégeant de toute accusation pour montrer ladite photo, ce qui lui a été refusé », résume un rapport déposé en cour.

Les enquêteurs du SPVM ont été clairs avec Bégin : il devait abandonner tout espoir d’une immunité. Bégin a ensuite commencé à raconter au personnel carcéral qu’il allait obtenir une libération conditionnelle hâtive ou obtenir l’abandon de certaines accusations grâce à un « deal » avec la police pour leur dévoiler l’identité du véritable incendiaire. Il a demandé à plusieurs reprises de rencontrer la sergente-détective chargée du dossier au SPVM. Son fameux « deal » ne s’est toujours pas concrétisé.

Depuis, son attitude inquiète les autorités carcérales.

« Autrement dit, si M. Bégin a vu un homme épandre de l’accélérant ou mettre le feu à l’immeuble, qu’il a pris soin de le prendre en photo, mais n’a pas signalé l’incident à qui que ce soit, ni porté assistance aux locataires de l’immeuble, cela s’avère hautement préoccupant », précise un fonctionnaire dans son rapport.

De deux choses l’une : ou cette photo existe et il préfère exploiter le système plutôt que d’accomplir son devoir de citoyen en dévoilant l’identité de l’homme ayant tué 7 personnes, ou cette photo n’existe pas et il tente de se trouver une porte de sortie. Dans les deux cas, son processus décisionnel est inquiétant.

Extrait d’un rapport du Service correctionnel du Canada

L’employé fédéral constate que Bégin ne dit pas tout ce qu’il sait de cette affaire. « Il a […] refusé de répondre à nos questions concernant l’enquête à laquelle il était mêlé, prétextant qu’un “deal” serait probablement signé avec la police dans un délai rapproché. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

En interrogatoire, Denis Bégin a admis qu’il se trouvait sur place lorsque l’incendie s’est déclaré. Mais il niait l’avoir allumé.

Pourtant, dans un entretien avec les services carcéraux, le SPVM a été clair : « Il demeure témoin/suspect dans cette affaire », écrit un employé du Service correctionnel dans son rapport.

L’avocate de Denis Bégin n’a pas voulu commenter l’affaire quand La Presse l’a jointe jeudi.

Un lourd passé

Outre le meurtre de l’Halloween dont il a été trouvé coupable en 1997, Denis Bégin a été condamné pour incendie criminel, vols, introduction par effraction, fraudes, méfaits, extorsion et meurtre pendant sa vie.

« Son dossier renferme également une panoplie d’informations plus préoccupantes les unes que les autres, soit des soupçons de meurtres (x2), de violence sexuelle, physique et psychologique à l’endroit de son ex-conjointe, de même que des informations le liant au trafic de drogue international (héroïne, cocaïne) en collaboration avec le clan colombien et les Hells Angels », précise un des rapports du Service correctionnel. Il a aussi été soupçonné d’avoir lancé un cocktail Molotov chez ses parents, ce qui n’a jamais pu être prouvé.

Bégin a déjà affirmé que c’est dans son garage que des tueurs avaient fabriqué la bombe qui a tué accidentellement le petit Daniel Desrochers, 11 ans, en pleine guerre des motards, le 13 août 1995. Il avait tenté de marchander avec la police à ce sujet, pour obtenir certains avantages, sans succès. Depuis quelques années, il serait brouillé avec certains membres des Hells Angels, précise le rapport.

Il a déjà avoué un deuxième meurtre aux policiers dans une déclaration écrite. Il a reconnu avoir étranglé un évaluateur immobilier qui avait refusé de surévaluer sa propriété dans le cadre d’un stratagème de fraude. Il disait avoir camouflé la mort de l’homme en suicide.

Il s’est ensuite rétracté et n’a pas été accusé de ce crime, mais l’agent du Service correctionnel responsable de son dossier doute de la sincérité de cette rétractation. Bégin n’avait aucun intérêt à inventer une telle histoire, souligne-t-il.

Des informations policières relient aussi Denis Bégin à un troisième meurtre commis au Venezuela, selon l’agent, mais là encore, l’absence de preuve suffisante n’a pas permis de l’accuser.

Pas de tout repos

En prison, son parcours « n’a pas toujours été de tout repos », souligne l’agent. On lui a interdit pendant trois ans de rencontrer des employées féminines du pénitencier à la suite de propos déplacés envers une infirmière et d’informations jugées crédibles sur un complot pour agresser la professionnelle de la santé.

Bégin avait aussi écrit une lettre d’amour à une enseignante en milieu carcéral et harcelé son agente de libération.

La requête de Denis Bégin pour annuler son transfert d’établissement sera entendue à une date ultérieure.

D’ici là, l’enquête pour meurtre sur l’incendie criminel du Vieux-Montréal se poursuit.