Il urinait dans une ruelle, il a fini à l’hôpital, blessé après une altercation avec la police. Le cas d’un homme dans la trentaine interpellé par un patrouilleur il y a trois ans suscite plusieurs questions sur l’emploi de la force, même si l’agent a suivi les règles. Le DPCP a d’ailleurs annoncé la semaine dernière que ce dossier pris en charge par le BEI à l’époque ne ferait l’objet d’aucune accusation.

L’intervention se déroule un soir d’été en 2021. Le suspect est alors en train d’uriner dans une ruelle. L’homme de 36 ans, dont l’identité n’est pas révélée par les autorités, tourne le dos au policier. Il est en patins à roues alignées.

L’agent interpelle l’individu près de la 24e Avenue à Montréal puisqu’il contrevient au règlement municipal.

Quand on lui demande de s’identifier, le contrevenant ne donne que son prénom. Le communiqué du BEI publié à l’époque indique « qu’il donne une fausse identité au policier ».

L’individu est en état d’ébriété, selon le résumé des faits présenté par le DPCP dans un communiqué diffusé en début de semaine. Il s’éloigne du policier en prétextant qu’il veut « rentrer chez lui ».

Le policier agrippe alors son poignet gauche et place son bras droit autour de lui au niveau de la poitrine. Immobilisé, l’homme tente de se dégager de la prise du policier.

Ce dernier soulève l’homme du sol et tente de l’asseoir sur le trottoir afin de lui mettre les menottes. Durant la manœuvre, l’homme chute sur le dos et sa tête percute le trottoir.

Il est toujours conscient, mais le policier réalise que son état nécessite l’intervention des paramédicaux. « L’homme est transporté à l’hôpital où il reçoit les soins requis par son état de santé », précise le DPCP dans son communiqué.

« Des choix de société »

« Pour avoir le droit d’utiliser la force, ça prend quelqu’un qui viole la loi », rappelle Stéphane Wall, policier à la retraite spécialisé en emploi de la force.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le policier à la retraite Stéphane Wall

Les policiers ont également le pouvoir de chercher à établir l’identité de la personne interpellée en vertu du Code de procédure pénale. « Si la personne devant l’agent est en train de commettre une infraction, il peut l’interroger. »

Le contact initial – prendre le bras de l’individu – dans le cas cité plus haut se fait à partir du moment où le suspect ne collabore pas. « Le contact initial est fait alors que le suspect tentait de prendre la fuite. »

Si on ne tente pas d’immobiliser l’individu dans un tel cas, on risque de devoir le poursuivre à pied.

Prendre le coude ou le poignet et ramener le bras d’un individu vers l’arrière du dos peut être une façon de menotter l’individu plus facilement.

Lorsqu’on s’enfuit ou qu’on se débat, il s’agit d’une résistance active. Réussir à maîtriser quelqu’un seul debout, c’est très difficile. C’est pourquoi l’agent a probablement voulu l’amener au sol pour limiter sa capacité de mouvement.

Stéphane Wall, policier à la retraite

Certaines personnes pourraient se questionner plus largement sur l’intervention : pourquoi en être arrivé là pour un individu qui se soulageait dans une ruelle un soir d’été ?

« C’est des choix de société. Normalement quand un règlement a été mis en place, c’est parce qu’on ne veut pas laisser place à l’incivilité », explique M. Wall.

La majorité des policiers décident d’appliquer un règlement pour les gens récalcitrants qui essayent de se sauver.

Oui, les policiers ont le pouvoir discrétionnaire de donner un avertissement au lieu d’une contravention, admet M. Wall, qui a fait carrière au SPVM. « Par contre, l’attitude de la personne interpellée va grandement contribuer à la façon dont se déroule l’intervention. »

La plupart des agents de la paix mis dans cette situation espèrent que le sujet sera coopératif. « Mais si la personne veut s’enfuir, il y a de bonnes chances qu’un agent intervienne pour l’en empêcher. »

Il note une différence entre les citoyens qui coopèrent et ceux qui résistent ou entravent le travail d’un agent de la paix.

Le BEI, trop opaque ?

« Sans me prononcer directement sur le bien-fondé ou non de cette intervention, je pense qu’il y a une distinction à faire entre la légalité de l’intervention et la discrétion policière de judiciariser indûment des gestes d’incivilité », estime MFernando Belton, président de la Clinique juridique de Saint-Michel et chargé de cours sur le profilage racial à l’Université McGill et l’Université d’Ottawa.

Une arrestation, selon l’avocat, ne devrait être tentée que si les autres solutions ne donnent aucun résultat. Plus encore : une tentative d’arrestation peut entraîner une confrontation plus grave que l’infraction initiale, explique-t-il.

« Le recours à une force excessive ou l’usage abusif du pouvoir d’arrestation peut exposer l’occupant, ou son représentant désigné, à des poursuites criminelles et à la responsabilité civile, même lorsque le motif de l’intervention est légal. »

Les rapports d’enquête du BEI transmis au DPCP et au Bureau du coroner ne sont jamais rendus publics. Or, l’une des raisons d’être du BEI est de rétablir la confiance entre le public et les autorités.

Les citoyens devraient donc être en droit de connaître et comprendre les motifs d’une opération policière, croit MBelton. « L’opacité du processus d’enquête du BEI soulève des questions importantes de légitimité pour le public. »