La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a dépêché des enquêteurs spécialisés à Saguenay pour déterminer si des accusations de terrorisme doivent être portées contre un cuisinier qui aurait tenté de tuer trois employés du restaurant La Belle et La Bœuf avant Noël, a appris La Presse. La veille de l’attaque, le suspect avait annoncé en ligne que quelque chose se produirait bientôt dans l’établissement, tout en célébrant le Hamas et ses chefs.

Ce qu’il faut savoir

Un employé d’un restaurant a semé la panique le 20 décembre en attaquant ses collègues au couteau.

L’homme est accusé de tentatives de meurtre et demeure détenu.

L’accusé a fait l’apologie du Hamas juste avant de passer à l’acte et la police vérifie s’il y a un lien avec ses motivations.

« Nous enquêtons avec la police de Saguenay pour voir s’il y a matière à des accusations de terrorisme », a confirmé le sergent Charles Poirier, porte-parole de la GRC, en précisant que le dossier avait été confié à l’Équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN), chargée des enquêtes antiterroristes.

PHOTO ROCKET LAVOIE, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

L’agression est survenue au restaurant La Belle et La Bœuf, à Chicoutimi.

La police avait été appelée d’urgence au restaurant le 20 décembre dernier parce qu’un employé des cuisines aurait subitement attaqué ses collègues à l’arme blanche, infligeant des blessures sanglantes et semant la panique dans l’établissement.

Ahmed May avait été arrêté sur place et accusé de trois chefs de tentative de meurtre « en utilisant un couteau », ainsi que de voies de fait contre deux policiers et d’entrave au travail des agents de la paix. L’homme de 30 ans est détenu depuis, et doit revenir devant la cour vendredi pour l’enquête sur remise en liberté.

Des références au Hamas sur les réseaux sociaux

Le journal local Le Quotidien a cité plusieurs sources selon lesquelles l’employé s’en serait notamment pris à une gérante et une serveuse, qui auraient été blessées gravement à la tête, au cou et aux mains. Le journal a aussi rapporté que le cuisinier était en conflit avec une patronne de l’établissement qui lui aurait demandé de laver les toilettes.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Ahmed May est accusé de trois chefs de tentative de meurtre, ainsi que de voies de fait contre deux policiers et d’entrave au travail des agents de la paix.

Mais les enquêteurs de la GRC tentent maintenant de déterminer si son conflit avec la direction pourrait s’être mêlé à d’autres motifs plus idéologiques.

« L’enquête est toujours en cours. Quand on a des évènements majeurs de cette nature-là, c’est normal qu’on collabore avec d’autres corps de police comme la GRC », explique l’agente Andréanne Nolin, porte-parole du Service de police de Saguenay.

La veille de l’attaque, sur sa page Facebook, Ahmed May avait fait plusieurs fois l’apologie du Hamas, une organisation déclarée groupe terroriste interdit au Canada depuis 2002 et actuellement impliquée dans une guerre contre Israël qui fait les manchettes tous les jours partout sur la planète.

Le 19 décembre, Ahmed May avait notamment publié des cœurs à côté d’une vidéo du cheikh Ahmed Yassine, l’un des fondateurs du groupe islamiste radical qui avait été l’un des promoteurs de la stratégie des attentats-suicides.

Le même jour, M. May avait aussi publié sur sa page un portrait de Yahya Sinwar, considéré comme le chef du Hamas dans la bande de Gaza, ainsi qu’un montage graphique faisant référence à Abou Obaïda, le porte-parole des brigades Izz al-Din al-Qassam, branche militaire du Hamas. Le montage mettait en scène le triangle rouge pointant vers le bas utilisé dans les vidéos de combat du Hamas pour marquer les cibles militaires israéliennes.

Toujours le 19 décembre, le cuisinier avait publié un nouveau triangle rouge pointant vers le bas, dans un message qui annonçait quelque chose « bientôt bientôt bientôt » en lien avec « la Belle équipe Bœuf », une référence apparente au restaurant où il travaillait.

La veille, il avait écrit sur sa page : « c’est un djihad de victoire ou de martyre ».

Prudence dans l’analyse

« Il y a quand même beaucoup de gens qui utilisent ces symboles. Le triangle rouge, beaucoup de gens vont l’utiliser, c’est vu comme un symbole de résistance par plusieurs, et on ne comprend pas toujours toute l’implication et comment ça peut être reçu par d’autres. Mais dans le cas qui nous intéresse, ça semble assez délibéré et provocateur », observe Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.

Il faut toutefois être prudent avant de faire un lien entre les actes reprochés au cuisinier et la mouvance dont il semblait faire la promotion en ligne, souligne M. Audet Gosselin.

La Belle et La Bœuf à Chicoutimi, ça ne semble pas être un des soutiens d’Israël les plus évidents.

Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence

« On comprend les raisons pour lesquelles la GRC a enquêté sur ce sujet-là, mais moi, personnellement, je ne vois aucun motif terroriste dans cette affaire. Ça apparaît purement comme un conflit de travail qui a dégénéré », lance de son côté MNicolas Gagnon, l’avocat d’Ahmed May.

Louis Audet Gosselin souligne qu’il faudra attendre la suite de l’enquête pour comprendre ce qui a pu provoquer le passage à l’acte dans ce dossier. Lorsque des gens consomment beaucoup de matériel violent et haineux en ligne, la frontière entre les motifs personnels et les motifs idéologiques est parfois floue, dit-il.

« Il y a toujours une dynamique dans la radicalisation de donner du sens à des enjeux personnels à travers des grandes causes plus larges », explique-t-il.

« Sans me prononcer sur ce cas précis, on voit des gens qui ont une vie principalement en ligne alimentée par du contenu violent et haineux, qui vient nourrir une détresse qui peut être plus large, plus diffuse. Il y a des cas qui sont à la limite entre ce qui est idéologique et ce qui ne l’est pas, et ce n’est pas nécessairement l’idéologie qui pousse à l’attaque. Ça devient assez difficile de faire de la prévention par rapport à l’extrémisme dans ces cas-là, car potentiellement il y aurait aussi eu de la violence sans ça », constate-t-il.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse