Il est important d’envoyer le message qu’il ne peut pas y avoir de procès secrets au Canada, a déclaré le juge en chef de la Cour suprême mardi, pendant l’audience sur le mystérieux procès criminel d’un informateur de police qui s’est tenu hors des circuits habituels au Québec.

« En fait, ce qui est important, c’est que les Canadiens sachent qu’il n’y a pas, qu’il ne peut pas y avoir de procès secrets au Canada », a affirmé le très honorable Richard Wagner, dans un échange avec l’avocat de la coalition de médias qui conteste la façon dont le procès s’est tenu.

Le juge en chef a aussi insisté sur l’enjeu démocratique soulevé par cette affaire. « On n’a qu’à voir ailleurs, très près de chez nous, pour voir comment la démocratie est fragile », a-t-il souligné.

L’an dernier, la Cour d’appel du Québec avait annulé la condamnation d’un informateur de police jugé dans le cadre de ce qu’elle qualifiait de « procès secret ». Le nom du juge, des avocats, du corps de police impliqué, le crime reproché, la sentence réclamée, la façon dont l’accusé aurait pu purger sa peine : tout avait été caché au public. L’affaire n’aurait même pas été inscrite dans le registre des dossiers de la cour et les témoins auraient été interrogés à l’extérieur du tribunal, selon la Cour d’appel, qui avait décrié une façon de faire « incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale ».

Une coalition de médias, incluant La Presse, a demandé mardi à la Cour suprême de fixer des balises qui permettraient aux organisations journalistiques et à d’autres groupes représentant l’intérêt public de faire des représentations en faveur d’une plus grande transparence lorsque les autorités demandent des mesures exceptionnelles de confidentialité pour un procès.

Les médias ont aussi demandé que le dossier de l’informateur de police soit renvoyé devant le tribunal de première instance pour que celui-ci corrige la situation.

MChristian Leblanc, qui représentait les médias, a insisté pendant l’audience sur l’importance de « s’assurer que chaque Canadien sache que ça ne peut pas se reproduire dans notre pays ».

Les juges intéressés

« Les juges ont eu l’air très intéressés par l’enjeu. La publicité des débats judiciaires est un sujet qui intéresse toujours la Cour suprême et la Cour suprême a toujours eu à cœur de défendre la publicité des débats judiciaires », a commenté MLeblanc en sortant du tribunal.

« Ce qui fait la richesse de comparaître devant la Cour suprême, c’est l’échange qu’on peut avoir avec la Cour, qui enrichit ultimement le droit. J’ai beaucoup apprécié cet échange », a ajouté MLeblanc.

Les avocats du Procureur général du Québec ont quant à eux demandé à ce que le dossier de l’informateur de police soit renvoyé à la Cour d’appel du Québec afin que celle-ci travaille à rendre publics de nouveaux détails sur l’affaire. « On vous soumet que le public est en droit de savoir si ce qui s’est passé dans le dossier peut vraiment être qualifié de procès secret, avec tout ce que ça peut susciter de négatif dans l’imaginaire public », a plaidé MPierre-Luc Beauchesne.

Le juge en chef l’a toutefois interpellé en reprenant la thèse de l’ancienne juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, qui dit avoir obtenu de nouvelles informations confidentielles qui démontreraient que le procès de l’informateur de police n’a pas été réellement secret et que la Cour d’appel a fait erreur en le qualifiant ainsi. Ces nouvelles informations demeurent toutefois secrètes pour le public, elles aussi.

« Si je suis l’hypothèse qu’il n’y a pas de procès secret… la Cour d’appel, en utilisant ces mots-là : est-ce que c’était responsable ou irresponsable ? » a demandé le juge Wagner. MBeauchesne n’a pas voulu trancher.

« Des personnes peu recommandables »

Le Procureur général de l’Ontario et le Procureur général de l’Alberta ont de leur côté plaidé contre tout changement dans ce dossier qui risquerait, selon eux, de miner la protection absolue dont jouissent les informateurs de police lorsqu’ils acceptent de prendre des risques pour aider les autorités. Ces informateurs sont souvent des membres ou des relations d’organisations criminelles, mais ils peuvent aussi être un simple retraité qui reste à la maison et qui observe des choses, a plaidé l’avocate du Procureur général de l’Alberta.

« Oui et très souvent ce sont des personnes peu recommandables », a immédiatement renchéri le juge Malcolm Rowe.

Une nouvelle journée d’audience est prévue mercredi à huis clos pour permettre au Service des poursuites pénales du Canada, à l’informateur de police concerné et à l’ex-juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau de s’exprimer sur le dossier loin des regards du public.

La Cour se retirera ensuite pour préparer sa décision.