« Allons combattre dans une guerre islamique. » « Nous allons prendre leurs femmes et leurs enfants. » Selon un imam, Ali Ngarukiye s’était fait laver le cerveau par des terroristes et tenait des propos « extrêmes » sur le Djihad. Ces informations n’ont cependant jamais été révélées aux jurés qui amorceront leurs délibérations ce samedi à son procès pour tentative de meurtre contre le policier Sanjay Vig. Le jury ignore aussi que Ngarukiye aurait assassiné son codétenu.

Ce qu’il faut savoir

Ali Ngarukiye est accusé d’avoir tenté de tuer un policier du SPVM qui remettait une contravention à Mamadi Camara.

Ali Ngarukiye aurait été radicalisé dans une école islamique et voulait faire le « Djihad », selon un imam.

La Couronne assimilait le procès à un dossier de « terrorisme », mais le juge a réfuté cette thèse.

Un dossier « assimilable à du terrorisme ». C’est ainsi que la Couronne a dépeint le procès d’Ali Ngarukiye en cherchant à présenter au jury les déclarations de l’imam Hassan Habib à la fin d’octobre. Les jurés avaient alors déjà entendu une soixantaine de témoins. Cette thèse « incendiaire » a toutefois été rejetée par le juge François Dadour.

PHOTO DÉPOSÉE EN PREUVE

Ali Ngarukiye est accusé d’avoir tenté de tuer l’agent Sanjay Vig, du SPVM, le 28 janvier 2021 sur le boulevard Crémazie.

« Si la Couronne croyait que des infractions liées au terrorisme avaient été commises par M. Ngarukiye, elle aurait pu déposer de telles accusations. Elle ne l’a pas fait. De plus, ce n’est pas un dossier de terrorisme, et ça ne le deviendra pas », a insisté le juge dans une décision rendue début novembre.

Nous pouvons révéler ces éléments jamais médiatisés, car le jury est maintenant séquestré. Il est en effet interdit de publier en plein procès de l’information cachée aux jurés.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le policier Sanjay Vig

Ali Ngarukiye, 24 ans, est accusé d’avoir tenté de tuer le policier montréalais Sanjay Vig, alors que ce dernier remettait une contravention à l’automobiliste Mamadi Camara sur le boulevard Crémazie en janvier 2021. Un assaillant non identifié a frappé le policier, puis lui a tiré dessus avec son arme de service. Une forte preuve circonstancielle pointe vers la culpabilité de l’accusé, selon la Couronne.

Un portrait inquiétant

Pourquoi Ali Ngarukiye aurait-il ciblé ce policier ? La preuve est muette à ce sujet. C’est pourquoi la Couronne voulait présenter au jury les déclarations d’un imam ontarien sur le comportement de Ngarukiye à l’été 2020.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les procureurs de la Couronne Jasmine Guillaume et Louis Bouthillier

Le portrait de l’accusé brossé par l’imam Hassan Habib est particulièrement inquiétant. Il dépeint un garçon « respectueux » et « poli » qui s’est fait corrompre l’esprit par un « homme » pendant ses études islamiques à la madrasa de Cornwall. À ses yeux, Ali Ngarukiye s’était fait laver le cerveau.

« [Ali Ngarukiye] disait des trucs comme ça : “Ce pays est un pays de non-croyants. Les musulmans ont le droit de tout prendre. Si je trouve une voiture, je la prends. Je ne la vole pas. Même si je trouve une femme, je vais juste la prendre… Je ne la viole pas […]. Tout m’appartient” », a affirmé l’imam Hassan Habib, selon le jugement.

PHOTO DÉPOSÉE EN PREUVE

Porte arrière d’un appartement près du lieu de l’agression dans laquelle une balle perdue s’est logée

L’imam de Toronto soutient qu’Ali Ngarukiye avait rencontré des personnes ayant des « antécédents de terrorisme » et qu’il avait prévenu le jeune homme de se tenir loin d’eux. Il ne précise toutefois pas qui sont ces personnes.

Ali Ngarukiye évoquait régulièrement le « Djihad » et des « trucs extrêmes », comme le fait d’aller se battre pour une « guerre islamique », explique l’imam torontois dans sa déclaration.

Selon lui, le jeune homme tenait des propos comme ceux-ci : « Nous devrions tuer les policiers. Nous n’aimons pas ce pays » ou encore « Nous attendons le moment où ils veulent le Djihad et [inaudible] nous allons vaincre ces personnes et nous allons prendre leurs femmes et leurs enfants ».

Un pays de « non-croyants »

En mars 2021, au moment de l’arrestation du suspect à Toronto, La Presse avait révélé que celui-ci fréquentait des individus qui faisaient l’objet de surveillance de la part de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC, car ils étaient suspectés d’appartenir à une mouvance extrémiste.

Dans son témoignage au procès, l’imam a finalement été limité à rapporter que Ngarukiye lui aurait dit vouloir « tuer des policiers » et que le Canada était un pays de « non-croyants ». La Couronne a donc pu plaider au jury que le « mobile » de l’attaque contre l’agent Vig découlait de ces propos explosifs.

C’est dans la mosquée de l’imam Hassan Habib, à Toronto, que l’accusé s’est caché pendant deux jours après l’attaque, selon la Couronne.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO DÉPOSÉE EN COUR

Image d’une vidéo montrant Ali Ngarukiye avec l’imam Hassan Habib et d’autres personnes dans un magasin de vêtements, à Oshawa, au lendemain de l’attaque

Aux yeux de la défense, l’imam Hassan Habib voulait se « venger » d’Ali Ngarukiye depuis que la sœur de l’accusé avait refusé de l’épouser. L’imam avait même envoyé un courriel extrêmement haineux à sa famille. Mais pour la Couronne, Ali Ngarukiye n’a « jamais » été la cible de la colère de Hassan Habib. De plus, l’imam n’est pas allé voir la police. C’est la police qui est allée l’interroger à Toronto.

Le juge a déterminé que permettre le reste de la déclaration de l’imam serait grandement préjudiciable à l’accusé. « Il n’y a pas de preuve que les gestes allégués de M. Ngarukiye ont été motivés par de l’extrémisme religieux ou politique », a rappelé le juge Dadour.

Accusé du meurtre de son codétenu

Le jury ignore également qu’Ali Ngarukiye a été accusé du meurtre de son codétenu et d’outrage à son cadavre deux mois après son arrestation dans le dossier Vig. Il aurait battu à mort André Lapierre dans leur cellule de la prison de Rivière-des-Prairies. Il n’a pas encore été jugé, mais a été considéré comme « criminellement responsable » par un expert.

Pendant le processus judiciaire, en 2021, Ali Ngarukiye était considéré comme un individu extrêmement dangereux. Il faisait ainsi l’objet de mesures de sécurité draconiennes en prison. Selon un juge, il représentait une « menace pour la sécurité de tout le monde ».

MJasmine Guillaume et MLouis Bouthillier représentent le ministère public, alors que MSharon Sandiford et MMoana Franco défendent l’accusé.