Le Canada est un pays de « non-croyants ». Il faut donc tuer des policiers. C’est ce dont Ali Ngarukiye aurait discuté avec un imam quelques mois avant d’attaquer le policier Sanjay Vig. Après avoir « exécuté son plan », Ngarukiye se serait ensuite caché dans la mosquée de ce même imam à Toronto.

C’est la théorie présentée par la Couronne lundi dans ses plaidoiries au procès d’Ali Ngarukiye. L’homme de 24 ans est accusé d’avoir tenté de tuer l’agent Sanjay Vig, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le 28 janvier 2021 sur le boulevard Crémazie, à Montréal.

Après trois mois d’audience, des dizaines de témoins et une centaine d’éléments de preuve, le procès d’Ali Ngarukiye est entré dans sa dernière ligne droite, lundi, avec les plaidoiries de la Couronne. C’est dans cette affaire très médiatisée que l’automobiliste Mamadi Camara s’est fait accuser à tort du crime, avant d’être libéré quelques jours plus tard.

Les nombreuses contradictions dans le témoignage de Mamadi Camara et les allégations de profilage racial envers le policier Vig ont été au cœur de cette première journée de plaidoiries. La procureure Me Jasmine Guillaume a ainsi insisté sur le fait que l’agent Vig n’avait pas intercepté Mamadi Camara, un homme noir, « en raison de sa race », mais bien parce que ce dernier utilisait son cellulaire au volant.

« Il n’y a pas de traces de profilage racial. Il n’a pas traité M. Camara différemment en raison de sa race », a martelé au jury la procureure, qui fait équipe avec Me Louis Bouthillier.

Également, si l’agent Vig a désigné Mamadi Camara comme son agresseur, il s’agit d’une « erreur honnête (honest error), pas du profilage », selon Me Guillaume. La procureure a présenté au jury les photos de M. Camara et de l’accusé côte à côte pour illustrer leur ressemblance. « Regardez leurs traits », a-t-elle dit.

Une attaque planifiée

Selon la théorie de la Couronne, Ali Ngarukiye avait bien planifié son crime. D’ailleurs, quelques mois plus tôt, à l’été 2020, il disait à un imam de Toronto, Hassan Habib, vouloir tuer des policiers dans ce pays de « non-croyants (non-believers) ». Cette partie de la preuve n’a toutefois pas été élaborée lundi.

Trois jours avant l’attaque, selon la Couronne, Ali Ngarukiye a volé deux véhicules, une Hyundai Elantra, puis une Honda CRV. Le jour fatidique, l’accusé s’est stationné avec la Hyundai tout près de l’intersection où se trouvait l’agent Vig. Ce dernier venait alors d’intercepter Mamadi Camara.

Selon la Couronne, Ali Ngarukiye a profité du fait que l’agent Vig donnait une contravention à Mamadi Camara pour le frapper par-derrière avec une barre de métal. L’accusé lui a ensuite volé son arme de service et a tiré à deux reprises vers le policier, affirme le ministère public.

Me Guillaume a invité les jurés à prendre la barre de métal dans leurs mains. « Ce n’est pas une barre de cuivre vide sous le lavabo. C’est lourd. [Vig] a reçu au moins trois coups sur la tête avant de se faire tirer dessus et de courir pour sa vie », a-t-elle plaidé.

PHOTO DÉPOSÉE

Ce bâton métallique retrouvé sur la scène est l’arme du crime, selon la Couronne

La procureure a longuement décortiqué lundi une vidéo de surveillance du ministère des Transports – de très mauvaise définition – montrant au loin deux silhouettes en « pleine lutte (struggle) ». Selon la Couronne, ces images prouvent que Ngarukiye est arrivé par la ruelle pour s’en prendre par-derrière au policier.

Des appels au 911 d’automobilistes ont aussi été joués en salle de cour. « Un policier est en train de se faire battre ! Il vient de tirer ! Il a pris son gun ! », crie une femme dans l’un des appels.

Après avoir attaqué le policier, Ali Ngarukiye est reparti avec la Hyundai volée, puis a changé d’auto pour se rendre à Toronto, selon la théorie de la poursuite. L’accusé s’est ensuite caché à la mosquée de l’imam Hassan Habib à Toronto. Il est revenu deux jours tard à Montréal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La procureure de la Couronne MJasmine Guillaume lundi

Me Guillaume a consacré une partie de sa plaidoirie à scruter les contradictions dans le témoignage de Mamadi Camara, pourtant un témoin de la Couronne. La « version de Camara ne peut être acceptée en entier », a affirmé Me Guillaume. M. Camara maintient, par exemple, n’avoir jamais utilisé son téléphone au volant. Or, la preuve indique le contraire, selon la poursuite.

Aussi, Mamadi Camara assure n’avoir jamais reçu son constat d’infraction en main propre de l’agent Vig et raconte avoir vu le policier se faire attaquer alors qu’il sortait tout juste de son véhicule. Dans les deux cas, Mamadi Camara se trompe, selon la Couronne. Notons que le récit de M. Camara diffère grandement de celui de l’agent Vig sur certains points.

Me Guillaume poursuivra sa plaidoirie mardi devant le juge François Dadour. Ce sera ensuite au tour de Me Sharon Sandiford, en défense, de s’adresser au jury.

L’HISTOIRE JUSQU’ICI

28 janvier 2021 : Le policier Sanjay Vig est attaqué en pleine rue, alors qu’il remettait un constat de contravention. Mamadi Camara est arrêté, puis accusé.

5 février 2021 : Mamadi Camara est relâché et innocenté. La police admet l’avoir arrêté par erreur.

25 mars 2021 : Ali Ngarukiye est arrêté, puis accusé d’avoir tenté de tuer le policier Vig.

Septembre 2023 : Début du procès d’Ali Ngarukiye pour tentative de meurtre.