Le procès pour inceste mis en péril par l’absence soudaine de la juge Joëlle Roy, incapable de siéger depuis une chronique d’Yves Boisvert critiquant son travail, pourra se conclure d’ici Noël devant un nouveau juge.

« Ce dénouement heureux permettra aux victimes de poursuivre leur témoignage sans devoir le recommencer. D’ici là, nous nous assurons qu’elles reçoivent tout le soutien requis dans les circonstances », a indiqué à La Presse MRachelle Pitre, procureure en chef au bureau de Montréal du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Le procès de ce Montréalais de 63 ans accusé d’avoir agressé sexuellement ses trois filles dans les années 1990 va donc se poursuivre dès le 20 novembre devant un autre juge. Un tel scénario est très rare, même s’il est prévu au Code criminel, lorsqu’un juge s’absente à long terme. On ignore la durée de l’absence de la juge Roy.

« Ces efforts concertés font également en sorte que la cause pourra se poursuivre dans un délai raisonnable et à l’intérieur des paramètres fixés par l’arrêt Jordan », fait valoir MPitre, en saluant la collaboration de la Cour du Québec. MAnna Levin pilote le dossier pour le ministère public.

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, s’était montré sensible au sort des victimes dans ce dossier. « Je suis fortement préoccupé relativement au fait que les victimes auront à revenir témoigner », avait déclaré le ministre, à la mi-octobre.

Ce branle-bas découle de la sortie aussi exceptionnelle qu’inusitée de la juge Joëlle Roy. Au troisième jour du procès, la magistrate était arrivée en larmes en salle d’audience, bouleversée par une chronique d’Yves Boisvert. Elle se disait alors victime d’une « attaque personnelle […] très vicieuse » et incapable de siéger.

Le chroniqueur de La Presse avait remis en question le jugement de la juge Roy à la suite d’un acquittement qui semblait empreint de mythes et stéréotypes dans un dossier d’agression sexuelle. La juge avait reproché à la plaignante de ne pas s’être rhabillée et de ne pas avoir ouvert les yeux pendant l’agression alléguée.

Yves Boisvert soulignait également que la juge Roy avait été corrigée « sévèrement » à de nombreuses reprises par les tribunaux d’appel durant sa carrière. « À ce niveau de correction, on peut carrément s’interroger sur sa compétence », concluait le chroniqueur.

Notons que la semaine dernière encore, la Cour d’appel a infirmé une décision de la juge Roy, qui avait ordonné un arrêt du processus judiciaire dans le dossier médiatisé de corruption de l’ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino. Un nouveau procès a été ordonné.

Le surlendemain de la parution de la chronique, la juge Roy a repris le banc, non pas pour poursuivre le procès pour inceste, mais pour lire une lettre à Yves Boisvert. Du jamais vu, selon des experts questionnés par La Presse qui s’interrogent sur la « sérénité » de la magistrate.

« L’article d’hier de M. Yves Boisvert dans La Presse était d’une grande violence à mon égard. Une violence de celle que l’on voit, malheureusement, devant les tribunaux à tous les jours. Ce n’est plus la juge que l’on attaque, mais la femme. Une femme qui ne peut de surcroît se défendre », a déclaré la juge Roy, en salle d’audience.

« C’est une violence que j’ai choisi de dénoncer ce matin. Ce n’est plus du journalisme, mais de l’abus d’opinion, de l’abus du pouvoir des mots », a conclu la juge.

La juge Roy devait rendre une décision dans un dossier d’agression sexuelle ce jour-là. Même si sa décision était prête, elle ne l’a pas rendue. Le sort de cette affaire demeure en suspens.