Le frère d’Abdulla Shaikh avait déjà avisé les autorités que ce dernier représentait un danger « pour les autres et pour lui-même » avant qu’il ne soit impliqué dans les trois meurtres commis à l’été 2022.

Samir Shaikh s’est également questionné sur le traitement qu’a reçu son frère lors d’un séjour à l’hôpital deux ans avant le drame.

« Ça se voyait qu’il n’était pas bien », a expliqué Samir Shaikh dans son témoignage devant la coroner Géhane Kamel, mercredi après-midi. Elle préside depuis lundi l’enquête sur les meurtres d’André Lemieux, de Mohamed Belhaj et d’Alex Lévis-Crevier ainsi que sur la mort du suspect Abdulla Shaikh, abattu par la police.

La famille Shaikh avait déjà contacté les autorités dans le passé concernant Abdulla Shaikh, qui avait alors disparu sans donner de nouvelles. L’homme de 26 ans avait reçu un diagnostic de schizophrénie en 2017.

Abdulla Shaikh avait fini par parler aux policiers la journée où sa famille s’était inquiétée. Quand son frère l’a vu, il n’était pas dans un état normal. « Je voyais qu’il n’avait pas dormi ni mangé. »

J’ai dit [aux policiers] : “Je connais mon frère : il ne va pas bien. Il est un danger pour lui et pour les autres.”

Samir Shaikh, frère d’Abdulla Shaikh

Selon son témoignage, les policiers lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas l’arrêter s’il n’avait pas commis de crime.

« Les policiers n’ont rien fait », a laissé tomber Samir Shaikh.

« Il entendait des voix »

Abdulla Shaikh est parti vivre seul en appartement en 2018 et tout a semblé basculer à ce moment. Les interventions policières à son égard au fil des ans semblent être liées à ses troubles psychiatriques. « Ça a empiré. Logiquement, ça n’a pas de sens qu’on attende qu’il commette un crime pour l’arrêter. Moi, mon frère, je disais qu’il n’allait pas bien », a témoigné Samir Shaikh.

Il s’est interrogé sur les changements apportés à la médication de son frère abattu par la police.

« Je me questionne. Pourquoi, avant, il devait recevoir des injections chaque mois et, finalement, on change ça pour chaque trois mois ? », a-t-il demandé.

PHOTO FOURNIE PAR LE CORONER

Le suspect Abdulla Shaikh, en août 2022

Abdulla Shaikh avait déjà passé 10 mois à l’hôpital en lien avec ses troubles psychiatriques.

Samir Shaikh a également affirmé qu’il avait déjà voulu s’enfuir du pays. Il s’était même retrouvé à l’aéroport de Dorval.

« Il entendait des voix, voyait des choses dans la rue. Les voix lui disaient d’aller à l’aéroport, de sortir du Canada », a raconté Samir Shaikh.

Abdulla Shaikh n’avait pas d’amis connus, vivait seul et avait très peu de contacts avec autrui.

« Il ne m’a jamais mentionné des problèmes avec du monde. Il était souvent tout seul après sa sortie de l’hôpital. »

À la connaissance de son frère, il ne consommait ni drogue ni alcool avant le triple meurtre. Au moment de la tragédie, il n’avait pas vu son frère depuis environ trois mois.

Samir Shaikh ignore comment son frère de 26 ans s’est procuré les deux armes à feu et les nombreuses munitions saisies par la police le 4 août 2022. Il n’avait pas d’emploi et recevait de l’argent du gouvernement durant la pandémie.

La coroner Géhane Kamel a remercié Samir Shaikh, seul membre de la famille du suspect à témoigner. « Il y a des gens qui font des choix pour lesquels les familles écopent. Pour moi, vous faites aussi partie des familles endeuillées », lui a-t-elle dit. Elle a indiqué à quelques reprises durant l’enquête vouloir éviter la stigmatisation des personnes aux prises avec des troubles mentaux.

Familles en deuil

Des membres des familles des trois victimes du triple meurtre ont également livré de vibrants témoignages. « Le plus dur, c’est que mes enfants se rappellent leur oncle et ce qui s’est passé », a confié Roxanne Lévis-Crevier, grande sœur d’Alex Lévis-Crevier, tué par balle alors qu’il se déplaçait sur une planche à roulettes.

Le jeune homme de 22 ans vivait près de chez elle et côtoyait régulièrement ses trois enfants.

Elle a appris la triste nouvelle du triple meurtre sur les réseaux sociaux. Elle a ensuite tenté de contacter son frère à ce sujet, sans succès.

Agressif et violent, dit une ex-conjointe

Abdulla Shaikh pouvait se montrer agressif envers des inconnus, et ce, bien avant le triple homicide, a expliqué Marllely Florez Serna, qui a été en couple avec lui entre 2014 et 2016.

Il lui arrivait d’avoir des comportements colériques à l’égard d’inconnus. « Il était capable de se fâcher. Il pouvait être tranquille, mais si les gens embarquaient trop sur lui, il se fâchait », a précisé la jeune femme.

Cette attitude était provoquée par des évènements banals comme un service trop lent au Tim Hortons ou quelqu’un qui le dépassait en voiture. « Il a déjà voulu frapper quelqu’un avec un bâton et cracher sur quelqu’un. Il le disait, mais il ne le faisait pas. »

Elle a expliqué à la coroner qu’Abdulla Shaikh l’avait déjà frappée. « Il y a eu des cas d’agressivité physique, verbale et financière envers moi. »

L’ex-conjointe n’a jamais été au courant de problèmes de santé mentale à l’époque où elle était en couple avec Abdulla Shaikh.

L’histoire jusqu’ici

2 août 2022

André Lemieux, 64 ans, et Mohamed Belhaj, 48 ans, sont tués par un homme armé d’un pistolet.

3 août 2022

Le même suspect fait feu à plusieurs reprises en direction d’Alex Lévis-Crevier, 22 ans. Il n’y a aucun lien entre ces trois victimes choisies au hasard.

4 août 2022

Abdulla Shaikh, soupçonné d’être l’auteur de ce triple meurtre, est repéré par les autorités dans une chambre louée au Motel Pierre, à Montréal. Il tire à deux reprises en direction des agents du Groupe tactique d’intervention du Service de police de la Ville de Montréal, qui ripostent. Le suspect succombe à ses blessures.

Septembre et octobre 2023

L’enquête publique du coroner doit faire la lumière sur ces évènements. Plusieurs policiers et membres des familles des victimes ont témoigné.