Des meurtres à quelques heures d’intervalle, des victimes sans lien entre elles, un suspect armé au « regard froid et déterminé » : les policiers du Groupe tactique d’intervention (GTI) faisaient face à quelque chose d’imprévisible, une sorte de « folie meurtrière », lors du triple homicide survenu en août 2022. Le présumé tireur avait même fait des recherches sur l’internet sur les différentes composantes d’une arme à feu.

C’est du moins ce qui est ressorti du témoignage d’un policier du GTI du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et d’un expert en armes à feu au deuxième jour de l’enquête publique du coroner visant à faire la lumière sur les meurtres d’André Lemieux, de Mohamed Belhaj et d’Alex Lévis-Crevier. Ils avaient été ciblés au hasard par un homme armé aux prises avec des problèmes de santé mentale à Montréal et à Laval entre le 2 et le 4 août 2022.

Le suspect, Abdulla Shaikh, avait été abattu par les autorités alors qu’il s’était barricadé dans la chambre d’un motel à Montréal à l’aide d’une table et d’une chaise placées devant la porte.

Risque élevé

Le 4 août 2022, le suspect se trouve dans la chambre 139 du Motel Pierre. Le GTI défonce la porte de deux coups de bélier.

PHOTO LA PRESSE CANADIENNE

Abdulla Shaikh, dans un motel de Montréal, le 4 août 2022

La situation relève d’un degré de dangerosité élevé : le présumé tireur est aux prises avec des troubles psychiatriques – un diagnostic de schizophrénie –, et les victimes sont choisies de façon aléatoire. « Les gangs de rue, on peut prévoir. Un tueur à gages, on peut prévoir [qui sera la prochaine victime]. Mais là, la prochaine victime, ça pouvait être n’importe qui », a dit le policer Mathieu Robillard, du GTI.

L’agent Robillard avait la tâche de défoncer la porte de la chambre où le suspect se trouvait. Il remarque que le présumé meurtrier a une arme à feu dans sa main droite et a affirmé avoir été surpris de la rapidité avec laquelle il sort son arme. Les agents ont utilisé un dispositif de distraction pour retenir l’attention d’Abdulla Shaikh. Il était alors sur le lit, avec une couverture par-dessus lui.

Le regard du suspect était extrêmement déterminé, comme s’il avait une mission en tête, a-t-il précisé.

Dans toutes mes interventions au SPVM, j’ai vu seulement deux, trois fois un visage froid qui voulait me tuer.

Mathieu Robillard, policier au SPVM depuis 2012

L’agent Mathieu Robillard dit avoir senti que le tir de la part du suspect ne tarderait pas. Il voit le coup de feu qui vient de la chambre. Simultanément, son collègue dégaine son arme. Le tout se passe si rapidement que la séquence de coups de feu est difficile à décrire chronologiquement, a fait savoir le policier.

Le suspect semble immobile, mais les agents du GTI ignorent s’il est touché, selon le témoignage de mardi.

L’agent Robillard remarque que le suspect est « affaibli », mais son regard « déterminé » demeure le même, a-t-il ajouté au sujet du suspect alors armé d’un pistolet.

« Si c’était un couteau et qu’il n’était pas capable de se lever pour l’utiliser, ce serait différent. Là, il a une arme à feu. Je dois déterminer s’il a la capacité d’appuyer sur la détente et là, selon ma perception, il pouvait encore le faire », a-t-il résumé.

Dans le feu de l’action, « il n’était pas farfelu » de penser qu’un suspect armé ferait semblant d’être inanimé, a expliqué le témoin à la coroner Géhane Kamel, responsable de l’enquête publique.

Fabriquer une arme, un jeu d’enfant ?

Fabriquer une arme à partir de pièces achetées aux États-Unis ou ailleurs est relativement facile, a expliqué Marc-André Dubé, sergent-détective expert en armes à feu. Beaucoup de composantes permettant d’assembler une arme s’obtiennent sans avoir besoin de contacts au sein du crime organisé, ajoute-t-il.

« La fabrication privée est à la portée de tout le monde. On ne parle pas du dark web ou de quelque chose de difficile d’accès », a expliqué le spécialiste actuellement prêté à l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA). Plusieurs sources ouvertes sur l’internet expliquent comment s’y prendre, et des pièces peuvent être commandées en vente libre.

Armes de poing, chargeurs et munitions ont été localisés par les autorités dans la chambre de motel occupée par le suspect. L’un des pistolets saisis dans le dossier d’Abdulla Shaikh est un Polymer80 sans numéro de série, une arme à feu « fantôme » construite à partir d’un ensemble de pièces. Le second est un pistolet semi-automatique d’assemblage privé, de type Glock. L’arme était équipée d’un dispositif permettant le tir en mode automatique.

Les forces de l’ordre ont aussi trouvé un chargeur haute capacité prohibé contenant 31 cartouches.

Le suspect avait fait plusieurs recherches sur l’internet concernant les armes, selon ce que les policiers ont pu voir une fois son téléphone cellulaire saisi. « Il cherchait sur l’internet un outil d’assistance au chargement d’un pistolet. […] Autour de juillet 2022, il a aussi recherché le terme [Polymer80] », a révélé M. Dubé.

L’enquête publique se poursuit ce mercredi, pour ensuite reprendre au mois d’octobre.