Philippe Truchon, un Québécois qui a avoué en 2017 avoir tué un ami à bout portant et enterré son cadavre dans la jungle, est en cavale au Pérou. Nathan Deslandes, considéré comme son complice par la justice péruvienne, et lui tentent de porter en appel un jugement qui les condamne à 20 ans de prison.

« Moi, tout ce que je veux, c’est un jugement juste », lance au bout du fil Philippe Truchon, qui a accepté de se confier à La Presse d’un endroit reclus, dont il se garde de révéler l’emplacement.

L’homme de 36 ans, dont le passeport canadien a été saisi par la police péruvienne en 2017, ne fait pas de mystère : « J’ai commis l’irréparable. Je ne cherche pas à me trouver des excuses. Mais je n’ai pas commis ce meurtre de façon préméditée. Je ne mérite pas 20 ans de prison, se défend-il. Et Nathan encore moins. Il n’a rien à voir avec ce que j’ai fait. »

Affaires mondiales Canada affirme dans un courriel être « au courant de deux Canadiens faisant l’objet d’une procédure judiciaire au Pérou ». « Les agents consulaires ont fourni des services consulaires et sont en contact avec les autorités locales pour recueillir des renseignements supplémentaires, indique le porte-parole Jérémie Bérubé. Le gouvernement du Canada ne peut s’immiscer dans les dossiers policiers ou les affaires juridiques se déroulant à l’étranger. Pour des raisons de confidentialité, aucune information supplémentaire ne peut être fournie. »

L’affaire avait fait la chronique au Québec en septembre 2017. Le corps de Jonathan Raymond venait d’être découvert en état de décomposition avancée dans la jungle, plusieurs jours après sa disparition soudaine, dans la petite ville de Yurimaguas.

Exilé depuis un an au Pérou, il avait acquis des terres agricoles pour faire pousser du cacao et du plantain, et promettait des rendements mirobolants à ses investisseurs québécois. Ses terrains étaient enregistrés au nom de Philippe Truchon, un ami d’enfance qui détenait la double nationalité nécessaire pour devenir propriétaire foncier au Pérou. Les deux hommes habitaient avec Nathan Deslandes, un autre ami d’enfance, dans un édifice que louait Jonathan Raymond.

Pistolet chargé sous l’oreiller

Le passé trouble de Jonathan Raymond au Québec faisait courir les plus vives spéculations au sujet de son assassinat. En 2016, la Sûreté du Québec avait perquisitionné à son condo de Saint-Jean-sur-Richelieu, dans le cadre d’une enquête pour recel de véhicules volés, et des soupçons de trafic de cocaïne avaient pesé sur lui, mais aucune accusation n’avait été portée, avait indiqué son ancien avocat, MAlexandre Paradis.

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La victime, Jonathan Raymond, était connue des policiers québécois.

Au Pérou, Jonathan Raymond dormait avec un pistolet chargé dissimulé sous son oreiller et une carabine de calibre 22 appuyée sur le mur de sa chambre, indique le jugement de première instance que La Presse a obtenu.

Au bout de 73 jours de recherches, auxquelles ont participé Philippe Truchon et Nathan Deslandes, les policiers ont arrêté les deux colocataires. En passant l’appartement au luminol, une substance qui fait apparaître les traces de sang, ils ont trouvé des preuves incriminantes.

Philippe Truchon est vite passé aux aveux. Une violente chicane aurait éclaté dans la nuit du 7 juillet 2017 au sujet du projet agricole. Jonathan Raymond se serait mis à frapper Philippe Truchon en le menaçant de le tuer. « En arrivant dans sa chambre, il a essayé d’attraper sa carabine. Je l’ai poussé sur le lit et quand il a lâché l’arme, je l’ai attrapée et je lui ai tiré une balle dans la tête. Il est tombé sur le lit, j’ai vu la mare de sang et j’ai commencé à vomir », indique la déclaration que Philippe Truchon a signée en s’avouant l’auteur du meurtre.

Il soutient avoir déplacé seul la dépouille emballée dans des sacs de plastique, à une quinzaine de kilomètres de leur appartement, et l’a enterrée avec une pelle. Il a ensuite incendié le matelas maculé de sang, les draps et les affaires personnelles de Jonathan Raymond à un autre endroit, précise sa déclaration.

Meurtre par cupidité

Sauf que les autorités péruviennes n’ont pas cru à cette version des faits. Soupçonnant la complicité de Nathan Deslandes pour descendre le cadavre du quatrième étage et le faire ensuite disparaître, ils ont accusé les deux Québécois d’homicide aggravé, l’équivalent d’un meurtre prémédité au Canada. Les deux hommes ont passé plus d’une vingtaine de mois en prison avant d’être libérés pendant qu’ils portaient la sentence en appel. Dans un jugement rendu en janvier dernier, le Tribunal péruvien a confirmé leur condamnation à 20 ans de prison, refusant de requalifier le crime en homicide simple contre Truchon, ce qui aurait réduit sa peine à 10 ans et rendu la liberté à Deslandes.

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Philippe Truchon et Nathan Deslandes au moment de leur arrestation, en 2017

Philippe Truchon a refusé de témoigner devant la cour, s’en tenant à sa déclaration écrite.

Selon la Cour, les coaccusés ont « essayé de s’approprier » les terres de Jonathan Raymond en l’assassinant « par cupidité ». Ce dernier, alors âgé de 36 ans, aurait annoncé qu’il allait transférer les titres de propriété des terres à son amoureuse, une adolescente âgée de 15 ans, dès qu’elle atteindrait la majorité, indique le jugement (l’âge du consentement sexuel est fixé à 15 ans dans le Code pénal péruvien).

La mère de Jonathan Raymond, Diane Labarre, a soutenu devant la Cour que Truchon et Deslandes avaient déjà essayé de tendre une embuscade à son fils quelques mois plus tôt pour l’assassiner dans la jungle. Jonathan leur avait pardonné « parce qu’il aimait vraiment ses amis », lit-on dans la décision.

Philippe Truchon affirme que c’est plutôt Jonathan Raymond qui les avait menacés de mort, Nathan Deslandes et lui.

Tir à bout portant

Le rapport d’autopsie a révélé que Jonathan Raymond a été tué à bout portant, d’une balle tirée à l’arrière du crâne. « La victime devait être à genoux ou au sol », « réduite à un état sans défense », ou encore « en train de dormir », affirme le jugement. Philippe Truchon soutient plutôt qu’il a tiré sur Jonathan Raymond alors que ce dernier, couché sur le lit, tentait de prendre son pistolet sous l’oreiller.

J’ai vu qu’il avait la main sur le gun. Ç’a été un réflexe. Pow ! J’ai tiré dans le tas. C’est aussi cru que ça.

Philippe Truchon, en entrevue téléphonique

Le tribunal a aussi retenu que Truchon et Deslandes ont eu des communications téléphoniques à 3 h 28 et à 6 h 22 la nuit du meurtre, des « heures inhabituelles et cruciales » afin de « coordonner l’enlèvement du corps pour l’emmener au lieu d’enterrement ». Philippe Truchon dit qu’il n’a communiqué qu’avec sa conjointe, alors qu’il était en panique.

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Nathan Deslandes en 2017

La conjointe péruvienne de Nathan Deslandes, Jessica Tuanama Tuanama, a pour sa part été déclarée coupable de complicité secondaire, parce qu’elle aurait nettoyé l’appartement avec des produits chimiques pour faire disparaître les traces du meurtre, selon le tribunal.

Philippe Truchon reconnaît être recherché par la police péruvienne, mais préfère « rester en dehors » le temps de préparer un nouvel appel, qui a été autorisé par la Cour en mai dernier. Nathan Deslandes serait également en liberté, selon une source québécoise qui a requis l’anonymat, mais Philippe Truchon refuse de parler en son nom.

« Je ne me cache pas, mais je ne m’expose pas non plus », dit Philippe Truchon. « Je veux juste continuer mon processus légal. Si je rentre en dedans, ça va être dix millions de fois plus compliqué, ajoute-t-il. C’est un système carcéral d’un pays de bananes. »

Avec Fannie Arcand, La Presse