Faire venir à Montréal un prisonnier de Winnipeg semble aussi compliqué que d’obtenir le laissez-passer A-38 dans Les douze travaux d’Astérix. Un homme coupable d’agression sexuelle à Montréal attend sa peine depuis neuf mois, mais le Manitoba semble se moquer de la justice québécoise.

« Je ne peux pas croire que quelqu’un est détenu dans une prison provinciale ailleurs [au Canada] et qu’on ne peut pas l’amener ici », s’est exaspéré jeudi le juge Salvatore Mascia au palais de justice de Montréal.

Le magistrat de la Cour du Québec venait d’apprendre qu’une prison de Winnipeg n’avait pas respecté « l’ordre » signé par sa collègue de la Cour supérieure du Québec de faire amener au Québec le détenu Haroun Cheikh Sidiya.

« On repart à la case zéro », a lâché le juge Mascia.

L’homme de 32 ans originaire de Winnipeg a été reconnu coupable, en septembre dernier à Montréal, d’avoir agressé sexuellement une femme en état d’ébriété dans les résidences de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 2018.

Haroun Cheikh Sidiya s’était fait passer pour un bon Samaritain afin de raccompagner dans sa chambre la victime, croisée dans le corridor pendant la nuit. Il en avait profité pour agresser sexuellement la femme dans la cage d’escalier. À son procès, l’homme mesurant plus de 6 pieds avait prétendu s’être senti « vulnérable » devant cette femme pourtant beaucoup plus petite que lui.

En principe, les audiences pour déterminer la peine doivent se dérouler rapidement après le jugement afin que la peine soit imposée quelques semaines plus tard. Or, neuf mois plus tard, l’audience de Haroun Cheikh Sidiya n’a toujours pas eu lieu. Et comme il se défend seul, sa présence est requise au palais de justice de Montréal.

Mais, et c’est là que le bât blesse, Haroun Cheikh Sidiya est détenu depuis plusieurs mois à Winnipeg pour ne pas avoir respecté ses conditions de remise en liberté dans un autre dossier d’agression sexuelle et de contact sexuel sur une mineure.

Depuis, il semble impossible de même lui permettre d’assister à l’audience par visioconférence. Pourquoi ? En raison d’une bête barrière technologique. En effet, les prisons du Manitoba utilisent la plateforme Cisco, et non Microsoft Teams, comme au Québec.

« J’ai fait plusieurs démarches pour que Monsieur soit par visio et ce n’était pas possible. Les trois dernières fois, on a eu Monsieur au téléphone », a exposé la procureure de la Couronne MAnna Levin.

À court de solutions

Déplacer cet homme dans une prison québécoise semble de surcroît un défi titanesque. Même une ordonnance signée par une juge de la Cour supérieure du Québec ne semble avoir aucun effet au Manitoba.

Le directeur des transports de comparution au palais de justice de Montréal, François Lorange, a expliqué jeudi au juge Mascia que les services correctionnels québécois n’étaient pas habilités à effectuer des transports à l’extérieur du Québec, sauf dans les prisons ontariennes.

Selon M. Lorange, pour faire le transfert jusqu’au Québec, il faudrait que la police locale du Manitoba transporte Haroun Cheikh Sidiya jusqu’à une prison ontarienne, où il pourrait aller le chercher. Toutefois, pour l’incarcérer en Ontario pendant le transfert, il faudrait… un mandat signé par un juge ontarien.

« Va falloir qu’on communique avec le directeur de la prison pour lui demander de prendre son auto et [d’amener] Monsieur en Ontario dans une prison », s’est interrogée la procureure MLevin, perplexe.

Si l’homme avait été détenu dans un pénitencier – donc de compétence fédérale –, le processus serait plus facile, puisqu’il aurait pu être transféré de pénitencier en pénitencier jusqu’au Québec, a expliqué François Lorange.

« Je ne sais pas c’est quoi la solution », a lâché le juge Mascia.

À court de solutions, le juge a suggéré à la procureure de retourner en Cour supérieure pour obtenir un nouvel ordre d’amener. MLevin doit également tenter de communiquer avec la direction de la prison de Winnipeg pour tirer les choses au clair.

« Je vais tenter de les appeler, au Brandon Correctionnal Center. Peut-être qu’ils vont se grouiller », a conclu le juge, excédé.

Pendant ce temps, la victime de Haroun Cheikh Sidiya attend depuis des années la conclusion de cette affaire qui s’est amorcée en 2018. « Tout ça est vraiment fâcheux pour la victime », reconnaît MLevin, en entrevue avec La Presse.

Le dossier doit retourner devant le magistrat vendredi.