Un juge québécois à la retraite va diriger un examen sur la façon dont les Oblats ont traité les allégations de sévices sexuels qu’aurait commis un ancien prêtre sur des enfants inuits au Nunavut.

Les Oblats de Marie-Immaculée (OMI Lacombe Canada) et les Oblats de la Province de France ont annoncé lundi la nomination de l’ancien juge de la Cour supérieure du Québec André Denis pour diriger la Commission oblate de sauvegarde.

Les Oblats ont expliqué dans un communiqué qu’elle visera à faire la lumière sur la manière dont les allégations contre Joannès Rivoire ont été traitées au sein de la congrégation catholique. Elle aura aussi pour tâche d’identifier les améliorations à apporter aux politiques et à la gouvernance des Oblats afin de mieux protéger les mineurs et d’assurer un « haut degré » de responsabilité.

Un rapport final devra être rendu public au plus tard le 1er avril 2024.

« Les Oblats reconnaissent l’héritage tragique des abus commis par le clergé et s’engagent sincèrement à soutenir les peuples inuits qui plaident pour la vérité, la justice, la guérison et la réconciliation », a affirmé le père Ken Thorson, de OMI Lacombe Canada.

Le père Thorson a dit que la commission répond à un engagement que les Oblats avaient pris envers de nombreux Inuits, y compris celui d’examiner les circonstances dans lesquelles M. Rivoire avait quitté le Canada.

« J’espère que le travail du juge André Denis contribuera au processus de guérison des survivants et des survivants intergénérationnels qui ont été victimes du clergé », a-t-il affirmé.

Le père Thorson souhaite aussi que les résultats donnent à l’Église l’occasion de tirer des leçons de la relation brisée avec les communautés autochtones à travers le Canada.

Le juge à la retraite est connu pour avoir présidé le premier procès au Canada concernant la loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Ce procès a abouti en 2009 à la condamnation de Désiré Munyaneza, un citoyen rwandais vivant au Canada, pour son rôle dans le génocide rwandais de 1994. Munyaneza a été condamné à la prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

M. Denis a également été engagé par l’archidiocèse de Montréal en 2020 pour examiner les allégations d’abus sexuels sur des mineurs et des adultes vulnérables dans neuf diocèses catholiques du Québec remontant à 1940 et pour trouver toutes les personnes accusées d’abus qui étaient encore au service du diocèse.

Son audit, publié l’année dernière, a permis d’identifier des allégations d’abus sexuels confirmées ou fondées concernant 87 employés, dont moins de cinq travaillaient encore pour l’Église.

« Je suis heureux de me retrouver à la tête de cette commission et je souhaite que mes conclusions contribuent à éclairer cette page d’histoire, tout en permettant aux Oblats d’instaurer des normes plus élevées en matière de responsabilité et de sécurité », a déclaré le juge André Denis, dans un communiqué.

Demande d’extradition rejetée

M. Rivoire, qui a aujourd’hui plus de 90 ans et vit dans une maison de retraite à Lyon, en France, a été prêtre au Nunavut des années 1960 jusqu’en 1993, date à laquelle il est retourné dans son pays d’origine.

Il fait depuis longtemps l’objet d’allégations selon lesquelles il aurait abusé sexuellement d’enfants inuits pendant son séjour sur le territoire.

Nunavut Tunngavik Inc, un groupe représentant les Inuits du Nunavut, a mentionné que jusqu’à 60 enfants pourraient avoir été abusés.

M. Rivoire n’a jamais répondu à ces allégations devant un tribunal et nie tout acte répréhensible.

Un mandat d’arrêt canadien a été lancé à l’encontre de M. Rivoire en 1998, mais les accusations criminelles liées à l’abus sexuel d’enfants ont été suspendues en 2017.

À la suite d’une nouvelle plainte déposée en 2021, M. Rivoire a été accusé d’un chef d’attentat à la pudeur sur une jeune fille à Arviat et à Whale Cove entre 1974 et 1979.

Une délégation de dix Inuits du Nunavut s’est rendue en France en septembre pour demander son extradition et sensibiliser le public à cette affaire. Ils ont rencontré des représentants du gouvernement et de l’Église, ainsi que M. Rivoire.

Le Service des poursuites pénales du Canada a annoncé en octobre que la France avait rejeté sa demande d’extradition de M. Rivoire et qu’il avait épuisé tous les moyens légaux pour y parvenir.

Il a indiqué travailler avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour qu’Interpol publie un avis permettant à M. Rivoire d’être arrêté dans n’importe quel autre pays s’il quitte la France.

Le père Thorson a dit que les Oblats ont demandé à M. Rivoire de revenir au Canada et de faire face aux accusations. Les responsables oblats en France ont indiqué avoir renvoyé M. Rivoire en raison de son refus de revenir au Canada.

Un autre prêtre accusé

M. Rivoire n’est pas le seul ancien prêtre oblat qui a été accusé d’avoir abusé sexuellement d’enfants au Nunavut et qui a fui le pays.

La semaine dernière, Eric Dejaeger, 76 ans, a été arrêté à Kingston, en Ontario, sous huit chefs d’accusation pour des abus sexuels présumés sur six personnes à Igloolik, au Nunavut, entre 1978 et 1982. Il est actuellement détenu à Iqaluit.

Dejaeger a purgé une partie d’une peine de cinq ans, à partir de 1990, pour des délits sexuels commis sur des enfants à Baker Lake, au Nunavut, entre 1982 et 1989. Après sa libération, alors que la GRC enquêtait sur ses activités à Igloolik, il s’est enfui dans son pays d’origine, la Belgique. Il a été extradé vers le Canada en 2011 en raison de violations des lois sur l’immigration.

En 2015, il a été condamné à 19 ans de prison pour 32 infractions commises à Igloolik. Il a bénéficié d’une libération d’office en mai 2022.

Le père Thorson a déclaré que la commission devait se concentrer sur les allégations concernant M. Rivoire, qui n’a jamais été extradé vers le Canada.

« J’espère et je m’attends à ce que les leçons que nous tirerons de la gouvernance, de ce que les dirigeants ont fait ou n’ont pas fait, nous serviront également pour Dejaeger », a-t-il soutenu.

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.