(Ottawa) « Je m’attends à ce que plusieurs d’entre vous me posent des questions sur Russell Brown ». Le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, a visé juste : la démission-choc du juge de l’Alberta a monopolisé une partie de sa conférence de presse annuelle, mardi.

Sans surprise, le magistrat n’a pas voulu faire de commentaires sur le cas spécifique de Russell Brown, qui a choisi d’accrocher sa toge après que le Conseil canadien de la magistrature (CCM) a statué sur la pertinence de tenir une enquête publique sur la plainte d’inconduite dont il faisait l’objet.

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En revanche, il a tenu à assurer que cette démission n’avait « rien à voir avec son travail » à la Cour suprême du Canada, et que le travail du plus haut tribunal au pays n’en avait pas souffert – il a toutefois dit espérer qu’un remplaçant sera nommé d’ici octobre, à la reprise des activités de la Cour.

Le juge en chef a précisé ne pas avoir demandé au juge Brown de partir et dit « partager [les] préoccupations » exprimées par rapport à l’opacité du processus. Car le rapport du comité d’examen du CCM ne sera pas rendu public.

« En même temps, il y a tant de plaintes injustifiées contre les juges. La vaste majorité des plaintes visant les juges sont déposées par des gens qui sont insatisfaits du jugement. Et la majorité d’entre elles seront rejetées au premier examen », a-t-il exposé.

« Très peu vont plus loin et sont très sérieuses, a-t-il insisté. Alors en même temps, il faut aussi protéger la vie privée et la réputation des juges quand des plaintes frivoles sont déposées. Il faut naviguer en gardant ces principes en tête. Je pense qu’il y a une façon d’y arriver. »

L’une des manières de réformer le processus d’examen sur la conduite des juges est d’adopter le projet de loi C-9, a plaidé Richard Wagner, tout en convenant que cela n’aurait peut-être pas fait de différence dans le cas de Russell Brown.

« Le projet de loi C-9 propose un processus transparent et efficace pour traiter les allégations relatives à l’inconduite des juges de nomination fédérale. […] Malheureusement, il est toujours devant le Parlement », a-t-il regretté.

Le Sénat a proposé il y a de cela quelques jours des amendements à la mesure législative gouvernementale. Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a d’ores et déjà annoncé qu’il voyait ces modifications d’un œil défavorable.

Une vacance de plus

Le juge Russell Brown a annoncé qu’il se retirait lundi en démentant catégoriquement les allégations faites contre lui, selon lesquelles il aurait eu un comportement harcelant auprès de femmes alors qu’il était en état d’ébriété au bar d’un chic hôtel de l’Arizona, le 28 février dernier.

Son départ crée une autre vacance – de premier plan, celle-ci – dans l’appareil judiciaire canadien qui souffre déjà des délais de nominations qu’a dénoncées Richard Wagner. « La situation actuelle est intenable », a-t-il écrit au premier ministre Justin Trudeau en mai dernier dans une lettre obtenue par Radio-Canada.

« Ça a un impact, potentiellement, sur la démocratie. Si ça amène, par exemple, des arrêts de procédure dans des dossiers de violence, d’agression sexuelle, de violence conjugale, de meurtres, bien, les gens risquent de perdre confiance dans le système de justice », a illustré le juge en chef.

« Ça se fait, des nominations dans un temps raisonnable, a-t-il poursuivi avec en riant. Je voulais simplement lui souligner [au premier ministre] que c’est possible de le faire. Alors c’est quoi le problème ? Je ne sais pas. Vous pourrez peut-être lui demander. »

Vers une autre nomination

Le premier ministre devra s’atteler à la tâche de nommer un nouveau juge de la Cour suprême du Canada qui représentera l’ouest du pays. Il s’agira pour lui d’une sixième désignation au banc de juges qui en compte neuf – une septième si on ajoute celle de Richard Wagner à titre de juge en chef de l’institution.

Ce dernier n’a pas voulu s’étendre sur les qualités que devrait avoir la prochaine personne à faire son entrée.

« Mais j’ai déjà dit que, selon moi, tous les juges de la Cour suprême devraient être bilingues. J’aimerais aussi beaucoup voir la diversité se maintenir sur le banc. Je pense que nous faisons bien à la Cour suprême, mais aussi à travers le pays, où près de 50 % des juges nommés par le fédéral sont des femmes. »