(Ottawa ) Éclaboussé par une plainte d’inconduite, le juge de la Cour suprême du Canada Russell Brown démissionne au lieu d’attendre le verdict du Conseil canadien de la magistrature (CCM), qui devait déterminer si sa révocation devait être ordonnée. Clamant de nouveau son innocence, le magistrat assure avoir pris sa décision « pour le bien commun ».

« Le Conseil canadien de la magistrature a été informé aujourd’hui de la décision du juge Russell Brown de prendre sa retraite en tant que juge de la Cour suprême du Canada, avec effet immédiat », a écrit lundi l’organisation sur son site web.

Le juge Brown faisait l’objet d’un examen du CCM en lien avec des évènements survenus le 28 janvier dernier dans un chic hôtel de l’Arizona, où il a été impliqué dans une altercation en fin de soirée au bar de l’hôtel.

Le magistrat a reconnu s’être retrouvé dans une échauffourée au Omni Scottsdale Resort & Spa, il était pour prononcer un discours lors d’un gala en l’honneur de l’ancienne juge Louise Arbour. Il a vigoureusement nié, cependant, les allégations voulant que sa conduite soit à l’origine de cette rixe.

D’après le récit qu’en a fait Jon Crump, ancien combattant du Corps des Marines des États-Unis, en entrevue avec le Vancouver Sun dans un article paru le 9 mars dernier, Russell Brown aurait « harcelé [ses] amis » et suivi des femmes jusqu’à leur chambre d’hôtel.

« Je lui ai dit : “Tu es à l’évidence ivre et les filles ont peur de toi.” Il m’a bousculé. […] Je l’ai repoussé, puis je lui ai donné deux coups de poing au visage et il est tombé sur le sol », a dit l’homme au quotidien de Postmedia.

Le juge Brown ne siégeait plus à la Cour suprême du Canada depuis le 1er février, ayant été mis en congé par le juge en chef, Richard Wagner. Il aura tout de même fallu plus d’un mois avant que le plus haut tribunal au pays n’en fasse l’annonce en expliquant le pourquoi de cette absence.

Allégations réfutées

Dans une déclaration transmise par ses avocats, lundi, Russell Brown a affirmé que servir le Canada avait été « un honneur », et que « le bien commun serait mieux servi par [sa] retraite, de sorte qu’un juge remplaçant puisse rejoindre la Cour à temps pour sa session d’automne très chargée ».

Car « à ce stade, il est impossible de savoir combien de temps encore ce retard continuera d’avoir un impact sur le travail de la Cour. Compte tenu des progrès réalisés jusqu’à présent, il n’est pas déraisonnable de penser que ce processus pourrait se poursuivre jusqu’en 2024 », a-t-il fait valoir.

« Les allégations portées contre moi étant fausses, j’espérais que cette affaire serait réglée rapidement et qu’elle n’aurait pas d’impact significatif sur les activités de la Cour. Malheureusement, cela n’a pas été le cas », a regretté le juge nommé en 2015 par Stephen Harper.

La plainte à l’origine de l’histoire était « manifestement sans fondement » et a été déposée par « un ex-Marine de 31 ans qui, belliqueux et en état d’ébriété, a frappé le juge Brown sans provocation », a complété la firme d’avocats torontoise retenue par le magistrat.

Et la preuve recueillie démontre que les allégations comptaient des « contradictions flagrantes » ainsi que des « inexactitudes », ont écrit les avocats Brian Gover et Alexandra Heine. « Ce jour marque la fin d’un chapitre incontestablement regrettable de l’histoire juridique canadienne », ont-ils regretté.

Nomination rapide espérée

Le fait que le juge Brown ait décidé d’accrocher sa toge met fin à l’enquête en cours en CCM.

« Étant donné que le juge Brown n’est plus juge, la compétence du Conseil sur la plainte contre lui a pris fin en vertu de la Loi. À ce titre, les procédures devant le Conseil impliquant le juge Brown ont pris fin », lit-on sur le site internet du CCM.

Du côté de la Cour suprême du Canada, le juge en chef Richard Wagner a « pris acte » de la décision du juge Russell Brown », en souhaitant au juge natif de la Colombie-Britannique « le meilleur dans ses projets futurs ».

Ce départ inusité entraîne dans le banc de neuf juges une vacance que Justin Trudeau devra combler. Et le juge Wagner, qui a récemment reproché au gouvernement libéral sa lenteur à pourvoir les postes de juges à travers le pays, a pris soin de le souligner dans le communiqué de la Cour.

« Avec le départ du juge Brown de la Cour, le juge en chef Wagner invite le premier ministre à déployer tout le soin et la diligence nécessaires pour nommer un nouveau ou une nouvelle juge de la Cour suprême du Canada dans les meilleurs délais », y lit-on.

Le juge Wagner devrait en dire plus ce mardi, alors qu’il tient sa conférence de presse annuelle à Ottawa.