Deux agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) accusés d’avoir séquestré, menacé et battu un sans-abri en 2010 ont été acquittés lundi. Même si leur version a été sérieusement écorchée, elle demeure assez « plausible » pour soulever un doute raisonnable, tranche la juge.

« Bien que le Tribunal ne croit pas d’emblée la version des accusés et que leur défense laisse le Tribunal perplexe, […] le Tribunal conclut que leur version à l’effet qu’ils conduisent Levasseur dans l’ouest de l’île à sa demande et avec son consentement est plausible », conclut la juge Geneviève Graton, en soulignant les faiblesses dans la preuve de la poursuite.

Les agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte, du SPVM, faisaient face à de graves accusations pour des gestes commis dans la nuit du 30 au 31 mars 2010. Cette nuit-là, les policiers ont abandonné Tobie-Charles Angers-Levasseur, un sans-abri du centre-ville de Montréal, sur la voie de desserte de l’autoroute 40 à Kirkland, dans l’ouest de l’île.

Même si les accusés ont bénéficié du doute raisonnable, des zones d’ombre demeurent. Ainsi, il est « suspect » selon la juge que les policiers n’aient pris aucune note et n’aient produit aucun rapport. Pourtant, le fait d’abandonner un homme, en état de crise, sur le bord de l’autoroute, en pleine nuit, est une « solution hors norme » et « ne s’inscrit d’aucune façon dans la routine », soutient la juge.

Il est « également suspect » que les deux accusés n’aient pas avisé leurs superviseurs qu’ils sortaient de leur secteur, selon la juge. « Il paraît aussi douteux » que les policiers n’aient pas discuté de l’intervention avec leurs superviseurs et leurs pairs après coup. Bref, leur crédibilité est « entachée », selon la juge.

Un récit-choc

La version de M. Levasseur était un véritable récit d’horreur. Arrêté au centre-ville de Montréal pour avoir lancé dans la rue un arbuste décoratif, l’homme connu des policiers du secteur a été pris en charge par les agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte. « On s’en vient encore plus vite », avait d’ailleurs déclaré Patrick Guay sur les ondes radio en sachant qui était le suspect.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Tobie-Charles Angers-Levasseur

Selon le récit de M. Levasseur, l’agent Patrick Guay est revenu du poste de quartier 20 (PDQ 20) avec un sac poubelle et du Windex. Il l’a ensuite aspergé de produit nettoyant, en plus de lui mettre un sac poubelle sur la tête. Comme le sac s’est envolé la première fois, l’agent lui aurait remis le sac, cette fois avec du ruban.

Or, les agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte ne sont jamais entrés dans le PDQ 20 ce soir-là, démontre l’analyse du registre des portes. « Il s’agit d’un élément percutant qui met du plomb dans l’aile de la théorie du poursuivant. Le Tribunal ne peut trouver une explication plausible sans verser dans la spéculation », retient la juge Graton.

Tobie-Charles Angers-Levasseur raconte que pendant le transport dans l’autopatrouille, l’agent Patrick Guay lui disait pouvoir l’aider à se suicider et que sa mort « rendrait service à la société ».

M. Levasseur décrit ensuite un véritable simulacre d’exécution : menotté et agenouillé sur le bord de l’autoroute, il entend un « déclic » qui ressemble à celui d’une arme à feu. Il sent ensuite une pression derrière sa tête. « Tu peux le tirer, j’ai tiré les derniers », lance l’un des accusés.

Dans son analyse, la juge Graton ne se prononce pas sur la vraisemblance de ce récit-choc.

Un plaignant « articulé » et « cohérent »

Les agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte relatent que c’est le plaignant qui leur a suggéré de le reconduire chez un ami à Sainte-Anne-de-Bellevue, dans l’ouest de l’île de Montréal. Quand il a appelé le 911, M. Levasseur a déclaré être à Sainte-Anne-de-Bellevue. Or, il était plutôt à Kirkland.

Il s’avère que le plaignant connaissait un ami à Sainte-Anne-de-Bellevue. Un élément qui donne un « air de vraisemblance » à la thèse de la défense, sans toutefois « l’accréditer entièrement ».

Cela dit, la juge relève que M. Levasseur a témoigné avec « calme » et « intelligence », et en faisant preuve d’une « patience remarquable ». De surcroît, elle le décrit comme étant « articulé » et « cohérent », même si la défense plaidait qu’il consommait de la drogue en marge du procès.

Néanmoins, l’accumulation d’éléments de contradictions dans son récit est « très préoccupante », conclut la juge. Parmi ceux-ci : le fait que le bon Samaritain qui a retrouvé M. Levasseur sur le bord de la route n’ait pas vu de marques sur le visage de ce dernier. Le plaignant relatait qu’un des superviseurs des accusés lui avait dessiné sur le visage avec un marqueur.

La juge rappelle que M. Levasseur est capable de mentir pour arriver à ses fins, qu’il a déjà manipulé des médecins et menti aux autorités carcérales, et qu’il a parfois des hallucinations.

Les deux policiers ont été accusés seulement en 2018, lorsqu’une équipe mixte a revérifié les anciens dossiers d’affaires internes du SPVM. Le dossier avait apparemment été étouffé à l’époque, dans un contexte d’irrégularités internes au SPVM.

MJulien Tardif et MVincent Huet ont représenté le ministère public. MMichel Massicotte, MNicholas St-Jacques ont défendu l’agent Patrick Guay, alors que MBrigitte Martin et MHugo Marquis ont défendu l’agent Pierre-Luc Furlotte.

L’histoire jusqu’ici

31 mars 2010 : Tobie-Charles Angers-Levasseur, un sans-abri du centre-ville de Montréal, est abandonné par deux policiers du SPVM sur la voie de desserte de l’autoroute 40 dans l’ouest de l’île.

23 mai 2018 : les agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte du SPVM sont accusés au criminel de séquestration, voies de fait et menaces.

28 novembre 2022 : début du procès des agents Patrick Guay et Pierre-Luc Furlotte au palais de justice de Montréal.

5 juin 2023 : les deux policiers sont acquittés.