L’ex-président de Fierté Montréal, Éric Pineault, est accusé d’avoir agressé sexuellement un jeune homme qui avait une « confiance aveugle » en lui. L’ex-figure de proue du mouvement LGBT traînait un antécédent d’exploitation sexuelle d’un adolescent, révèle un document judiciaire, qui fait état de ses nombreux comportements déplacés au travail.

« Votre président Éric Pineault est un violeur, un menteur et un manipulateur. Il est allé en prison […] Qu’est-ce que la communauté penserait en apprenant [cela] […] Mettez vos choses en ordre et faites des changements, sinon nous allons révéler l’information dans cinq jours. Soyez avertis ».

Ce courriel anonyme écrit en anglais a eu l’effet d’une bombe au sein de Fierté Montréal. Tous les employés de l’organisme l’ont reçu le 5 août 2020. Dès le lendemain, c’était le choc dans la communauté : le président-fondateur Éric Pineault était suspendu indéfiniment pour « inconduite sexuelle ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Fierté Montréal représente les droits et les intérêts de la communauté LGBTQ+ depuis 2007.

Depuis, aucune information n’avait été ébruitée sur cette affaire, jusqu’à ce que La Presse apprenne qu’Éric Pineault avait comparu au palais de justice de Montréal en janvier dernier pour une accusation d’agression sexuelle. Une ordonnance de la cour protège l’identité du plaignant.

Joint au téléphone mercredi, Éric Pineault a refusé de commenter l’affaire.

Une dénonciation policière déposée à la cour pour obtenir le rapport d’enquête interne de Fierté Montréal lève le voile sur les dessous de cette affaire qui a provoqué une crise au sein de l’organisme qui représente les droits et les intérêts de la communauté LGBTQ+ depuis 2007.

On y apprend qu’Éric Pineault a été condamné en 1995 à Ottawa à un chef d’exploitation sexuelle. Il a ainsi touché de façon sexuelle un adolescent, alors qu’il se trouvait en position d’autorité ou de confiance auprès de lui. Éric Pineault, qui avait alors 22 ans, avait été condamné à 60 jours de prison la fin de semaine et à une probation de deux ans.

Considéré comme un « mentor »

Quelques jours après l’envoi du mystérieux courriel anonyme, un homme décide de porter plainte contre Éric Pineault, se sentant « libéré » de ne pas être la seule victime. Il regrette toutefois de ne pas l’avoir dénoncé plus tôt, puisqu’Éric Pineault aurait fait « deux autres victimes », selon ses dires.

Son récit de l’agression alléguée est détaillé dans la déclaration écrite d’une sergente-détective du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Le plaignant considérait Éric Pineault comme son « mentor ». Il avait même une « confiance aveugle » en lui. Dans son interrogatoire policier, le plaignant décrit l’accusé comme un homme « très spirituel et tactile » qui « touche beaucoup les jeunes garçons » et qui rendait les gens mal à l’aise avec ses blagues sur la « grosseur de son pénis ».

À l’automne 2016, Éric Pineault invite le plaignant à suivre un cours de « reiki » sur la Rive-Sud. Le « reiki » est décrit comme une technique de « transfert d’énergie », sans aucun contact tactile.

Un mois plus tard, le plaignant se rend chez Éric Pineault pour subir un tel traitement. Il porte alors un sous-vêtement « sexy » offert par l’accusé. Celui-ci lui offre de se déshabiller, mais le plaignant n’est pas à l’aise. Il accepte toutefois de se mettre une serviette à la taille. Pendant la séance, Éric Pineault lui touche d’abord les tempes, ce qu’il trouve « bizarre », puisque le reiki se fait sans contact.

« Dans la dernière demi-heure, il commence à le frôler. Éric frotte le pubis du [plaignant] en faisant un massage pendant une bonne minute. Il pousse de plus en plus son sous-vêtement. Il a rentré sa main dans ses culottes et lui a agrippé le pénis pendant 5-10 secondes. Il enveloppait complètement son pénis et ses testicules. Il s’est raidi par surprise, a figé et n’a eu aucune réaction », détaille le document policier.

Deux ans plus tard, le plaignant raconte les évènements à une personne qui, furieuse, confronte Éric Pineault. Par la suite, la relation entre le plaignant et l’accusé s’est assombrie. Dans des fêtes, Éric Pineault l’incitait à boire et le traitait de « fif », a-t-il relaté aux policiers.

Le dossier doit être de retour devant la cour le 15 juin prochain à une étape encore préliminaire.

Fierté Montréal réagit

Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse mercredi, le directeur général de Fierté Montréal, Simon Gamache, assure que « la sécurité et l’intégrité physique, psychologique et morale de notre équipe sont primordiales ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le directeur général de Fierté Montréal, Simon Gamache

« La culture organisationnelle de Fierté Montréal doit être à la hauteur de nos valeurs – de celles des communautés 2SLGBTQIA+ auxquelles nous appartenons – favorisant l’épanouissement de tous et toutes », explique-t-il prudemment.

Nous demeurons vigilants et souhaitons réitérer notre soutien indéfectible et notre solidarité totale envers les victimes d’inconduites sexuelles. Nous sommes de tout cœur avec elles.

Simon Gamache, directeur général de Fierté Montréal, dans une déclaration écrite envoyée à La Presse

En août 2020, Fierté Montréal avait suspendu indéfiniment son président et fondateur Éric Pineault, le temps d’examiner des dénonciations « d’inconduite sexuelle ». La nouvelle tombait alors quatre jours avant le début du festival. M. Pineault n’est finalement jamais retourné au sein de la direction de l’organisme.

Trois mois plus tard, en novembre 2020, l’organisme avait dit vouloir tourner la page sur un climat de travail « déplacé » qui se traduisait notamment par des blagues ou des gestes à caractère sexuel à l’interne. D’anciens membres et bénévoles avaient toutefois dit attendre des résultats concrets, dénonçant une « loi du silence » à l’interne.

« Les évènements ont fait en sorte qu’il fallait agir », avait dit Marie-Ève Baron, qui était alors la présidente de cet organisme qui représente les droits et les intérêts de la communauté LGBTQ+ depuis 2007.

« On traverse une crise et des moments difficiles. Mais on ne se met pas la tête dans le sable. On compte apprendre de ça et se former davantage sur l’oppression en milieu de travail », avait encore avancé Mme Baron à ce sujet.

Depuis, l’équipe de Fierté Montréal a été complètement renouvelée, avec à sa tête l’arrivée du directeur général Simon Gamache et du président Moe Hamandi.