« Ma mère était en train de repasser des vêtements quand elle m’a lancé : “Il faut que je te dise quelque chose.” »

Andréane Letendre avait 12 ans. Ce que sa mère s’apprêtait à lui annoncer, c’est qu’elle avait été conçue avec un don de gamètes.

« Je ne l’ai pas super bien pris », raconte-t-elle en entrevue.

Aujourd’hui mère de deux enfants, elle ne connaît toujours pas ses origines biologiques.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉANE LETENDRE

Andréane Letendre

Les auditions, ces dernières semaines, sur le projet de loi portant sur les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui l’ont donc personnellement interpellée, parce qu’il comprend une section à propos du droit à la connaissance des origines.

Entre autres pour des raisons médicales, pour savoir à quel type de problèmes de santé elle peut être tout particulièrement exposée en vieillissant, cela lui apparaît si capital qu’elle a tenu à faire connaître son point de vue.

Mme Letendre est la seule personne née d’un tiers à avoir présenté un mémoire à l’Assemblée nationale lors des auditions pour ce projet de loi 12 (aucun enfant issu d’une mère porteuse et aucune mère porteuse n’en a soumis).

Le projet de loi prévoit que le nom du géniteur doit être transmis à sa descendance. Le donneur pourra tout de même refuser d’entrer en contact avec son descendant et ce vœu devra être respecté, faute de quoi le requérant s’exposera à des dommages et intérêts punitifs.

Et si rien n’est jamais dit ?

Le projet de loi dit aussi qu’« il appartient au parent de l’enfant de l’informer du fait qu’il est issu d’une procréation impliquant la contribution d’un tiers ».

Mais « aucun recours ne sera possible pour un enfant à qui les parents n’auraient pas révélé la vérité sur ses origines », fait observer Mme Letendre, qui rappelle que dans son cas, le secret a été gardé 12 ans, et que ses parents auraient pu ne jamais rien dire.

La génération actuelle qui a recours à un don de gamètes ou à une mère porteuse sera-t-elle plus ouverte avec ses enfants ?

Mme Letendre rappelle que la Charte des droits et libertés de la personne a été modifiée en 2022, afin d’y intégrer le droit à toute personne de connaître ses origines.

Par ailleurs, poursuit Mme Letendre, à l’heure actuelle, l’anonymat demeure offert aux donneurs de gamètes au Canada, comme c’est le cas des banques de gamètes des États-Unis auxquelles peuvent avoir recours des parents d’intention d’ici.

L’anonymat des dons de gamètes s’est d’ailleurs retrouvé au cœur de l’actualité en 2020, quand des enfants issus de dons de sperme ont réclamé un meilleur encadrement des cliniques de fertilité et la fin de l’anonymat des donneurs. Ils le plaidaient dans l’affaire Norman Barwin, ce médecin d’Ottawa qui a trompé ses patients en utilisant son propre sperme pour la conception de 16 enfants et qui, pour 75 autres, n’a pas utilisé le sperme du donneur prévu.

Si le gouvernement entend vraiment donner à chacun le droit de connaître ses origines, « il faudrait obliger les cliniques à conserver et à transmettre l’information qu’elles détiennent déjà au registre qui sera créé », dit Mme Letendre.

Elle constate cependant que « les cliniques et les agences de procréation assistée semblent être les grandes absentes dans le projet de loi 12 », et qu’elles n’ont déposé aucun mémoire.

En matière de conception avec l’apport d’une tierce partie, ce sont pourtant elles « qui détiennent le plus d’information sur les conceptions qui ont déjà eu lieu dans le passé. L’accès à ces informations nous est toujours refusé, car elle fait partie du dossier médical de nos parents ».

En l’état, les intentions du projet de loi sont louables, estime Mme Letendre, qui croit néanmoins que dans les faits, « on n’aura pas davantage accès à nos dossiers ».

Chercher une information, pas une relation

Mme Letendre est par ailleurs favorable à la possibilité pour le donneur ou la donneuse, prévue dans le projet de loi, de refuser d’entrer en contact avec la personne née de ses gamètes. Ce qu’elle souhaiterait – comme d’autres personnes dans sa situation de sa connaissance, dit-elle –, c’est « une information et non une relation ».

Cela dit, Mme Letendre croit que le donneur ou la donneuse devrait savoir combien de descendants sont ainsi nés. Car l’idée de rencontrer trois personnes n’a pas la même portée qu’accepter d’en rencontrer un très grand nombre.

« Après l’identification du donneur, c’est l’une des informations les plus importantes que nous souhaiterions avoir pour des raisons évidentes », a fait valoir Mme Letendre dans son mémoire.

Enfin, notons que le projet de loi prévoit que l’enfant issu d’un projet parental impliquant l’utilisation du matériel reproductif d’un tiers « ne pourra pas réclamer une filiation à l’égard du tiers qui a fourni son matériel reproductif aux fins du projet. Pareillement, ce dernier ne peut réclamer un lien de filiation à l’égard de l’enfant ».