Une Lavalloise vient de remporter une victoire à la David contre Goliath contre le ministère des Transports du Québec (MTQ) après avoir endommagé dans un nid-de-poule signalé à plusieurs reprises sa voiture achetée quelques heures plus tôt.

Brittany Ménard est passée par un parcours de la combattante pour obtenir son dû, en amassant une preuve convaincante et en se représentant elle-même aux petites créances pour obtenir les 449,55 $ qu’avait coûté la réparation de son pneu.

Mais même avec un jugement de la Cour du Québec en faveur de l’automobiliste, et bien que la juge Chantale Massé conclue que le MTQ a commis une « faute lourde », l’État refuse de payer et demande un nouveau procès.

« Quand ça nous arrive, on ne sait pas par où commencer, quoi faire avec ça », lâche en entrevue la jeune femme.

J’espère que les gens vont voir avec mon histoire que c’est possible de se faire dédommager même si ce n’est pas facile.

Brittany Ménard

Le 4 mars 2022, Brittany Ménard venait de prendre possession de sa nouvelle voiture. Quelques heures plus tard à Saint-Jérôme, elle heurtait un nid-de-poule sur l’autoroute 15 à la hauteur de la bretelle de la rue de Martigny.

« À la dernière seconde, j’ai vu le gros trou devant moi, mais je n’ai pas eu le temps de l’éviter », raconte Mme Ménard. « Ça a tellement cogné fort, je savais tout de suite que j’avais une crevaison », dit celle qui a dû attendre la remorqueuse dans une bretelle où elle était frôlée par les voitures.

Fâchée de voir sa nouvelle Volkswagen abîmée, elle a envoyé une réclamation au MTQ le 10 mars. Le Ministère a refusé de payer. Dans sa lettre, le Ministère soutient que « la détérioration de la chaussée constitue un phénomène normal en hiver et qu’il ne peut intervenir que si les conditions météorologiques le permettent ».

Le Ministère invoque aussi le fameux article 30 de la Loi sur la voirie, qui prévoit qu’il n’est pas responsable « du préjudice causé par l’état de la chaussée aux pneus ou au système de suspension d’un véhicule automobile ».

Faute lourde

L’histoire se serait terminée là pour plusieurs. Mais Brittany Ménard ne s’est pas dégonflée. Elle a exigé du MTQ qu’il lui fournisse les signalements de ce nid-de-poule précis. À ce moment, elle ne savait pas s’il y en avait eu. Or, le Ministère en avait reçu cinq dans le mois ayant précédé l’accident.

Le 16 février 2022, un premier automobiliste avertit le Ministère de la présence d’un « trou qui est en train de se former », puis le 28 un autre se plaint que le « côté passager est tombé dans un gros nid-de-poule », entraînant des dommages.

Le 1er mars, un conducteur s’inquiète de trous « dangereux ». Le lendemain, un autre se plaint d’avoir eu les deux pneus « fendus » au même endroit. Puis le 3 mars, rebelote, le MTQ reçoit une autre plainte pour le même trou avec encore deux pneus crevés.

Le 4 mars, Brittany Ménard roule au même endroit, mais malgré ces cinq signalements, le nid-de-poule est toujours là sans aucune signalisation pour prévenir du danger.

La juge Chantale Massé n’a pas manqué de relever que le MTQ avait été prévenu « cinq fois plutôt qu’une ».

« Il paraît difficile de concevoir que le MTQ n’a pas pu, à aucun moment, poser de l’asphalte froid ou, à tout le moins, installer de la signalisation appropriée afin de prévenir les usagers de la présence de ce trou sur la chaussée », note-t-elle dans sa récente décision.

Elle rappelle que l’exclusion de responsabilité du Ministère prévue à l’article 30 de la Loi sur la voirie a des limites. L’État est responsable en cas de faute intentionnelle ou de faute lourde.

Elle conclut que dans cette affaire, le comportement du MTQ équivaut à une faute lourde, « de sorte que l’exclusion de responsabilité ne s’applique pas ». Elle condamne le Ministère à rembourser les 449,55 $ de frais de réparation du pneu de Mme Ménard, et ses 108 $ de frais juridiques.

Brittany Ménard s’est représentée elle-même, a dû manquer une journée de travail pour aller en cour. Et même aujourd’hui, elle n’est pas au bout de ses peines.

Elle n’a toujours pas été payée par le MTQ, qui a plutôt fait une requête de pourvoi en rétractation du jugement.

C’est que l’avocat du Ministère ne s’est pas présenté le jour de l’audience. Le MTQ demande maintenant un nouveau procès, faisant valoir qu’il avait une bonne raison pour motiver son absence ce jour-là.

« Si je dois repasser en cour, je vais devoir me représenter, prendre congé encore, tout ça pour 450 $… On dirait qu’ils essaient d’étirer le plus possible pour ne pas payer. C’est frustrant. »

Invité à réagir, le MTQ n’a pas voulu commenter l’affaire puisqu’il conteste la décision. « Ce dossier est, malgré le jugement rendu, toujours considéré comme judiciarisé, puisqu’une demande de pourvoi en rétractation a été déposée », indique dans un courriel le porte-parole du MTQ Gilles Payer. « Le Ministère ne peut donc commenter pour cette raison. »

Des milliers de dollars pour des nids-de-poule

Chaque année, le MTQ accepte de verser des dizaines de milliers de dollars en compensations pour des dommages matériels aux véhicules. La majorité des dossiers concernent des nids-de-poule. Pour l’année 2022-2023 qui se termine le 31 mars, le MTQ a payé des compensations dans 84 évènements, et 52 d’entre eux concernaient des nids-de-poule. À ce jour cette année, le Ministère a payé 125 544 $ en compensations, dont 47 761 $ pour des nids-de-poule. En 2021-2022, c’était un total de 169 927 $, dont 35 494 $ pour des nids-de-poule.