Un jeune Montréalais pincé avec une arme à feu dans son véhicule s’en est tiré sans conséquence en raison de l'incurie de l’État. Il a fallu un an pour obtenir les tests d’ADN sur l’arme, ce qui a permis à Corvens Joachin Gabriel de bénéficier d’un arrêt du processus judiciaire en vertu de l’arrêt Jordan.

L’homme de 21 ans s’était fait intercepter par des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour excès de vitesse le 2 juin 2021. Il était seul à bord. Un policier avait alors aperçu la crosse d’une arme à feu dépassant d’un sac, à l’arrière du véhicule.

Il s’agissait d’un vieux modèle de revolver. Il y avait cinq munitions dans le barillet, mais celles-ci n’étaient pas du même calibre que l’arme. Le sac à main dans lequel était dissimulé le revolver contenait une carte bancaire libellée à un autre nom que celui de l’accusé.

Corvens Joachin Gabriel faisait face à quatre chefs d’accusation, dont possession d’une arme à feu à autorisation restreinte chargée sans permis. Il avait été libéré sous conditions avec un engagement de plusieurs milliers de dollars quelques jours après sa comparution.

Or, son procès n’aura jamais lieu, puisque la juge Sonia Mastro Matteo a prononcé un arrêt du processus judiciaire pour délais déraisonnables, le 10 février dernier. Les délais pour son procès avaient atteint 20 mois, alors que la Cour suprême fixe à 18 mois le délai maximal dans l’arrêt Jordan, hors circonstances exceptionnelles.

Longue attente

Pendant un an, la défense réclamait d’obtenir les résultats des prélèvements d’ADN sur l’arme à feu avant de fixer la date du procès. La défense voulait ainsi savoir si l’ADN du jeune homme se trouvait sur le revolver. L’essentiel des délais Jordan repose sur cette attente.

Le Laboratoire des sciences judiciaires a mis une éternité à produire les résultats. Étonnamment, les policiers ont attendu trois mois et demi après la saisie de l’arme pour envoyer leur demande de prélèvement. Quatre mois plus tard, un rapport a conclu à la présence d’un profil génétique. Mais cinq mois supplémentaires ont été nécessaires pour faire la comparaison avec le profil génétique de l’accusé. Finalement, l’ADN de l’accusé n’était pas sur l’arme.

Le ministère public n’a donné aucune explication pour justifier ces délais, laissant ainsi sans réponses les nombreuses interrogations de la juge.

« À première vue, en l’absence d’explication quant au retard ou à la complexité à obtenir les analyses, un seul constat s’impose : l’État ne démontre pas l’empressement requis par le changement de culture qui oblige toutes les parties à être proactives et s’assurer que les pratiques antérieures ne surviennent plus », a conclu la juge Sonia Mastro Matteo.

La magistrate rappelle que le ministère public est tenu de s’acquitter « rapidement » (souligné dans le jugement) de ses obligations de communication de preuve, un droit quasi constitutionnel. La juge rappelle ainsi que l’arrêt Jordan visait justement à enrayer cette « culture de complaisance ».

Arguments de la Couronne

Le procureur de la Couronne, MKhalid Alguima, soutenait que l’accusé était responsable des délais en raison de son « refus répété » de fixer une date de procès. Selon le ministère public, il n’était pas nécessaire d’avoir les résultats de la preuve d’ADN pour fixer le procès, puisque l’accusé les auraient reçus à temps pour faire une contre-expertise.

Par ailleurs, la possession de l’arme pouvait être démontrée même sans la preuve d’ADN, puisque le revolver se trouvait dans le véhicule conduit par l’accusé, plaidait la poursuite.

La juge Mastro Matteo n’était pas de cet avis. Cette preuve n’était pas de « seconde importance » dans cette affaire et pouvait avoir un impact « considérable ». Le fait de savoir si son ADN était sur l’arme à feu pouvait amener l’accusé à changer sa stratégie, analyse la juge. Ainsi, les demandes de remise de la défense avaient un « objectif légitime », tranche-t-elle. Le procès a d’ailleurs été fixé dès que les résultats ont été obtenus.

MAnthony El-Haddad et MLory Zakarian ont défendu Corvens Joachin Gabriel.