(Fredericton) Justin Bourque, qui avait tué par balles trois policiers de la GRC à Moncton en 2014, pourra désormais demander une libération conditionnelle bien plus tôt que les 75 ans imposés par un juge – un record dans les annales judiciaires canadiennes.

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a réduit jeudi cette période d’inadmissibilité à 25 ans. La Cour d’appel a fondé sa décision sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada de l’an dernier concernant le tueur de la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette.

PHOTO CAROL TAYLOR, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Bourque en 2014.

« La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Bissonnette fait de la peine infligée à M. Bourque une peine qui n’est pas autorisée par le droit et qui n’est pas constitutionnelle », écrit le comité de trois juges de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick. Les trois juges, dont le juge en chef, ajoutent qu’ils sont liés par la décision du plus haut tribunal du pays, qui régit l’issue de cet appel.

Bourque avait plaidé coupable en août 2014 à trois chefs de meurtre au premier degré et à deux chefs de tentative de meurtre, après avoir tiré sur des policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans la nuit du 4 juin 2014.

Il a été automatiquement condamné à la prison à vie – une peine minimale de 25 ans. Mais le juge a aussi décidé qu’en vertu d’une disposition adoptée en 2011, la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans requise pour chaque condamnation pour meurtre au premier degré serait appliquée consécutivement. Bourque devrait donc attendre 75 ans avant de pouvoir demander une libération conditionnelle.

Au moment où il a été condamné, il s’agissait de la peine la plus sévère imposée par un tribunal canadien depuis la dernière exécution sanctionnée par l’État, en 1962.

Avec la réduction de sa peine à perpétuité, jeudi, Bourque – qui avait 24 ans au moment des meurtres – devrait pouvoir demander une libération conditionnelle à 49 ans, au lieu de 99 ans. La Cour d’appel a déclaré que tous les autres aspects de sa peine restaient inchangés.

« Peine cruelle et inusitée »

Selon un énoncé conjoint des faits, les crimes commis par Bourque à Moncton étaient « prévus et délibérés » lorsqu’il a utilisé un fusil semi-automatique pour tuer les policiers Dave Ross, 32 ans, Fabrice Gévaudan, 45 ans, et Douglas Larche, 40 ans. Les agents Eric Dubois et Darlene Goguen avaient aussi été blessés dans la fusillade.

Dans sa décision de mai 2022 relativement à Bissonnette, la Cour suprême a déclaré que la disposition du Code criminel autorisant les peines consécutives violait la Charte des droits et libertés parce qu’elle équivalait à une peine cruelle et inusitée pour les délinquants qui n’avaient aucune possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle avant leur mort.

Le plus haut tribunal du pays a également déclaré que cette disposition de la loi était invalide rétroactivement jusqu’à sa promulgation en 2011. La Cour suprême a déclaré que la Charte obligeait le Parlement à laisser une porte ouverte à la réhabilitation.

« Poussée à l’extrême, la disposition contestée autorise le tribunal à ordonner à un contrevenant de purger un temps d’épreuve qui dépasse l’espérance de vie de toute personne humaine, une peine dont l’absurdité est de nature à déconsidérer l’administration de la justice », écrivait le juge en chef, Richard Wagner, au nom de ses huit collègues.

Cet arrêt unanime des neuf juges faisait suite à un appel interjeté par Bissonnette, qui avait été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans, après avoir plaidé coupable du meurtre de six hommes à la mosquée de Québec en 2017.

Le juge de première instance avait conclu que la disposition sur l’inadmissibilité à la libération conditionnelle était effectivement inconstitutionnelle, mais il ne l’avait pas invalidée.

La Cour d’appel du Québec l’avait par la suite invalidée, pour des motifs constitutionnels ; elle avait déclaré que le tribunal devait revenir à la loi telle qu’elle était avant 2011. Les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle devaient donc être purgées simultanément plutôt que consécutivement, ce qui entraînait une période d’attente totale de 25 ans dans le cas de Bissonnette.

Le 20 janvier dernier, le procureur de la Couronne Patrick McGuinty a indiqué à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick que la peine de Bourque devait être modifiée de la même manière. Il reconnaissait l’effet contraignant de l’arrêt Bissonnette et convenait que l’appel devait être accueilli.

« Comme il est expliqué dans l’arrêt Bissonnette, dans l’état actuel du droit, M. Bourque sera admissible à la libération conditionnelle, mais l’admissibilité ne signifie pas qu’il dispose d’un droit à la libération conditionnelle », tient à rappeler la Cour d’appel.

La Fédération de la police nationale, qui représente environ 20 000 agents de la GRC, rappelait en janvier dernier que c’est la première fois que l’arrêt de la Cour suprême est appliqué à un meurtrier condamné pour l’assassinat de policiers.

Dans un communiqué jeudi, la Fédération dit respecter l’autorité de la Cour suprême, mais elle n’est « pas d’accord avec cette décision spécifique, en ce qui a trait aux besoins plus larges en matière de sécurité publique ».

Le syndicat demande au gouvernement fédéral « de revoir et de moderniser les lignes directrices en matière de détermination de la peine, afin de refléter les besoins modernes en matière de sécurité publique ».