(Ottawa) Un nouveau registre qui identifie une longue liste d’erreurs judiciaires au Canada est lancé cette semaine, dans le but d’attirer davantage l’attention sur ce problème.

Le registre a été élaboré par des professeurs et des étudiants de la faculté de droit de l’Université de Toronto. Amanda Carling, avocate et cofondatrice du projet, espère surtout que les Canadiens se rendront compte qu’il est difficile de faire en sorte que votre cas soit même considéré comme une éventuelle condamnation injustifiée, en particulier si vous êtes autochtone ou racisé.

« Nous essayons de raconter l’histoire des personnes qui ont accès à la justice, a-t-elle déclaré. Et puis nous voulons vraiment mettre en lumière les personnes qui n’ont pas accès à la justice. »

Le registre contient pour l’instant 83 cas de personnes dont les condamnations ont été plus tard annulées. Or, seulement 16 de ces cas impliquaient des Autochtones, alors qu’ils sont de loin surreprésentés dans les prisons canadiennes.

Mme Carling affirme que les réformes juridiques au Canada ont reconnu que trop d’Autochtones sont en prison, mais elle soutient qu’il n’y a jamais eu de reconnaissance institutionnalisée que plusieurs d’entre eux ne devraient tout simplement pas être derrière les barreaux.

L’annonce de ce registre survient quelques jours après que le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a déposé un projet de loi visant notamment à créer une nouvelle commission fédérale indépendante chargée d’examiner les cas potentiels d’erreurs judiciaires.

M. Lametti a expliqué que de nombreux cas actuellement réexaminés par le ministère de la Justice ne reflétaient pas la composition de la population carcérale du Canada.

Le ministre admettait la semaine dernière après le dépôt de son projet de loi que les candidats au réexamen de leur dossier qui se retrouvent sur son bureau « sont majoritairement des hommes blancs – et nos populations carcérales ne ressemblent pas à ça ».

« Ça me dit que le système n’est pas aussi accessible aux femmes ou aux Autochtones, aux personnes noires ou racisées, qui sont représentés de manière disproportionnée dans notre système de justice criminelle, a-t-il expliqué. Nous devons changer cela, certains de ces dossiers remontent à des décennies. »

Les Autochtones et les Noirs

La professeure Carling affirme que les Autochtones et les Noirs sont plus vulnérables aux erreurs judiciaires.

Inspirée en partie des registres des États-Unis et du Royaume-Uni, la version canadienne offre des données sur diverses causes d’erreurs judiciaires, y compris le mécanisme juridique utilisé pour annuler une condamnation.

Le registre ne cherche pas à définir ou à mesurer ce qu’on appelle « l’innocence par les faits », mais enregistre plutôt les cas où le système judiciaire a admis qu’une erreur avait été commise.

Près d’un cas sur cinq de condamnations injustifiées dans la base de données est survenu à cause d’un faux plaidoyer de culpabilité ; un tiers des cas concernait des « crimes imaginaires » qui ne se sont jamais réellement produits.

Le cofondateur du projet et juriste Kent Roach rappelle qu’un faux plaidoyer de culpabilité se produit lorsqu’une personne est innocente, mais plaide toujours coupable, souvent en raison d’une offre de négociation de plaidoyer selon laquelle elle recevra une peine moindre ou sera libérée si elle admet le crime.

« Le système de justice criminelle encourage la négociation de plaidoyers, comme une façon d’être efficace, a-t-il expliqué. Les Canadiens devraient réfléchir au fait que l’une des conséquences involontaires de ces “ententes efficaces” c’est que des gens innocents peuvent se voir proposer des offres qui sont tout simplement trop belles pour être refusées. »

M. Roach ajoute que des « crimes imaginaires » surviennent souvent lorsqu’un système censé exiger des preuves hors de tout doute raisonnable ne peut pas livrer la marchandise. « Ce sont en fait des problèmes structurels qui sont intégrés à notre système de justice criminelle, soit sur la base de la négociation de plaidoyers, soit en quelque sorte des stéréotypes et des raccourcis dans la pensée qui sont trop souvent utilisés pour arriver à des conclusions selon lesquelles quelqu’un est coupable. »

La majorité des erreurs judiciaires qui découlent de faux plaidoyers de culpabilité impliquent des femmes, des personnes racisées ou des personnes ayant des troubles cognitifs.

Bon nombre des cas de condamnations injustifiées dans la base de données sont liés à Charles Smith, le médecin légiste disgracié de Toronto dont le témoignage fondamentalement erroné a conduit à l’emprisonnement à tort de personnes pendant plus de 20 ans à l’Hôpital pour enfants de Toronto.

Un examen de son travail publié en 2007 par le coroner en chef de l’Ontario a revu 45 autopsies d’enfants effectuées par Smith, et a mis en doute les condamnations criminelles dans 13 de ces cas.

Une enquête de 2008 a révélé que le médecin légiste n’avait pas les connaissances de base pour faire son travail et que son approche était « fondamentalement défectueuse ».

Le juriste Roach a déclaré que le travail de Smith stéréotypait souvent les Autochtones ou les personnes racisées, et entraînait des condamnations injustifiées.

Alors que le nouveau processus d’examen fédéral que le ministre Lametti propose avec son projet de loi est généralement bien accueilli par les militants au Canada, M. Roach et Mme Carling ont toujours des inquiétudes.

M. Roach n’est pas certain que la nouvelle commission aura les ressources ou le pouvoir de traiter les cas où quelqu’un est derrière les barreaux à la suite d’un crime imaginaire ou d’un faux plaidoyer de culpabilité.

Il a également déclaré que le projet de loi ne permettra pas aux personnes examinant des cas potentiels d’accéder à des documents que la police ou les procureurs prétendent être légalement protégés par le privilège.