(Québec) Amélie Lemieux a livré un récit troublant des moments qui ont suivi la disparition de ses filles à l’été 2020, l’histoire d’une mère en crise qui s’est mise elle-même à la recherche de Norah et Romy des heures avant que la police n’envoie une alerte AMBER.

« Je demandais des hélicoptères, une alerte AMBER. Ç’a été très long. Je ne comprenais pas », a lâché la femme lundi au premier jour de l’enquête publique du coroner pour faire la lumière sur la mort de Norah, Romy et de leur père, Martin Carpentier.

Deux ans et demi après les faits, les blessures restent vives. La minuscule salle du palais de justice de Québec, remplie d’avocats et de journalistes, avait du mal à contenir la peine de la mère. « Je suis encore prise sur l’autoroute 20 aujourd’hui. »

Amélie Lemieux ne comprend toujours pas. Elle ne comprend toujours pas comment celui qu’elle considérait comme « un bon père » a pu tuer Norah et Romy. Elle ne comprend toujours pas pourquoi les policiers ont mis tant de temps à lancer les recherches.

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Norah et Romy Carpentier

Le 8 juillet 2020, son téléphone sonne à 21 h 45. Le numéro est masqué. Un policier lui demande si ses filles sont avec elle. Elles sont avec leur père. Une vingtaine de minutes plus tôt, la voiture accidentée de Martin Carpentier a été retrouvée sur l’autoroute 20, sur la Rive-Sud de Québec. L’homme et les filles sont introuvables.

« Je suis devenue hystérique. Je n’étais plus capable de me contrôler. Je voulais juste savoir où étaient mes enfants. » Elle se rend sur le lieu de l’accident. Ce soir-là, elle se confie à une enquêtrice : « J’ai dit que Martin ne sortira pas du bois. Là, il a peur, ça ne lui ressemble pas et il faut qu’on le trouve. Il ne sortira pas de là. »

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Amélie Lemieux, lors de son témoignage lundi

Le lendemain à l’aube, elle retourne sur les lieux. « J’ai décidé de partir chercher mes enfants. J’ai remonté la 20 direction ouest. Je suis arrêtée à un truck-stop. J’ai demandé à un camionneur s’il avait vu mes enfants. Je lui ai demandé de l’annoncer dans son CB aux autres camionneurs. Je suis rentrée dans un dépanneur poser des questions. »

Des heures avant l’alerte AMBER, qui sera finalement envoyée à 15 h le lendemain des disparitions, la mère en détresse se retrouve donc sur le terrain à demander l’aide de quiconque croise son chemin.

Avec une amie, elle arpente les petites routes près de Saint-Apollinaire, où les corps seront finalement retrouvés des jours plus tard.

« On est arrivées sur le rang Bois Joly, au croisement de la route du Bois de l’Ail. Je criais : ‟Norah, Romy” », se souvient Amélie Lemieux. Quand son amie lui demande si elle doit emprunter la route du Bois de l’Ail, la mère décline. La route est pleine de cailloux. Norah a perdu une sandale. Amélie Lemieux pense qu’elle ne pourrait pas marcher là.

« J’étais à côté d’elles », lâche la mère qui éclate soudainement en sanglots. « On a reviré. J’étais juste à côté d’elles. J’étais tellement proche pis je ne le savais pas. »

Un « bon père » rongé par une obsession

L’enquête publique prévue pour 21 jours d’audience cherche à faire la lumière sur ce qui aurait pu prévenir le drame, dont le travail policier, mais aussi sur ce qui a motivé le geste du père. Lundi, Amélie Lemieux a assuré qu’elle était toujours dans le néant.

« Je ne l’explique pas. Je suis la dernière personne à qui ce serait arrivé, selon moi. Quand j’entendais des choses comme ça à la radio, je me trouvais chanceuse d’avoir des enfants avec un bon père », a-t-elle dit.

Les deux s’étaient rencontrés en 2008. Mme Lemieux était alors enceinte de Norah. Le père biologique n’était plus dans le décor. Martin est devenu le père officiel de la fillette en 2010, en l’adoptant. Puis Romy est née en 2013.

Après leur séparation en 2015, Amélie et Martin sont restés mariés. L’homme a rencontré Françoise* en 2016. Celle qui était sa conjointe au moment du drame a raconté lundi au coroner comment le père était rongé par la peur de perdre ses filles.

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Martin Carpentier

« Il l’a toujours eue. Je pense que ça le préoccupait aussi pour Romy dans les derniers temps. Pour Norah, ça le préoccupait beaucoup, a dit Françoise. Je sais que quand elle avait revu son père biologique, ça lui avait fait quelque chose. »

Mais pour moi, c’était un merveilleux père. Alors comment un père comme ça pouvait perdre la garde de ses enfants ?

Françoise

Tout comme la mère des fillettes, Françoise s’explique mal le drame. « Dans ma tête, c’est sûr qu’il ne pouvait pas faire de mal à ses enfants. »

Amélie Lemieux raconte qu’elle avait été mise au courant des craintes du père dans les mois qui ont précédé les meurtres. Elle a raconté comment elle avait tenté de le rassurer, comment elle lui avait dit que c’était un bon père.

Elle et ses filles ont même offert un cadeau à Martin Carpentier pour la fête des Pères en 2020, quelques jours avant le drame. C’était un tablier, avec inscrit dessus : « Les superhéros ne portent pas tous une cape ».

Les corps des deux fillettes ont été retrouvés dans un boisé le 11 juillet. Le corps du père, qui les aurait tuées à l’aide d’une branche, a quant à lui été retrouvé le 20 juillet, cinq kilomètres plus loin.

* Le prénom de Françoise est fictif, une ordonnance nous interdisant d’identifier l’ex-conjointe de Martin Carpentier.