Un aspirant pompier daltonien recevra plus de 100 000 $ de la Ville de Québec, qui s’est rendue coupable de discrimination en refusant de l’embaucher.

C’est ce que vient de décider le Tribunal des droits de la personne, en ordonnant à la municipalité d’offrir un emploi de pompier à Sébastien Samson-Thibault.

Entre 2012 et 2015, l’homme a traversé toutes les étapes du processus d’embauche du Service de protection contre l’incendie de Québec (SPCIQ) – même une prise de mesures pour ajuster son uniforme – avant d’être écarté à cause de son daltonisme. Il distingue mal le rouge et le vert.

En apprenant la décision, «[son] monde s’écroule », s’est rappelé M. Samson-Thibault en témoignant devant le tribunal. Originaire de Rivière-du-Loup, le jeune homme prévoyait de déménager à Québec et d’y fonder une famille. Il est « en larmes » et complètement « déboussolé », décrit le jugement publié mercredi.

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Sébastien Samson-Thibault

Or, la décision du SPCIQ était discriminatoire et doit être infirmée, a déterminé le juge Christian Brunelle.

La Ville de Québec appliquait des critères de sélection en matière de qualité de la vue plus stricts que les normes nord-américaines en matière d’embauche des pompiers, au point d’en être exagérés.

« L’employeur impose une norme d’une rigidité telle qu’elle n’est pas raisonnablement nécessaire pour assurer au candidat, à ses collègues de travail et à la population un niveau de sécurité compatible avec l’obligation quasi constitutionnelle d’accommodement qui lui incombe », a tranché le juge Brunelle.

« On ne fait pas des biscuits »

La Ville de Québec plaidait que la lutte contre les incendies est une activité tellement risquée qu’elle ne peut se permettre d’envoyer au combat des pompiers qui n’ont pas une capacité parfaite à distinguer leur environnement.

« On a bien pesé la décision » de ne pas embaucher M. Samson-Thibault, a assuré le chef du service, Christian Paradis, en témoignant. « Ça n’a pas été géré sur un coin de table. »

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Le chef des pompiers de Québec, Christian Paradis

« C’est robuste, le métier de pompier, a-t-il ajouté. Nous, on ne fait pas des biscuits. »

Mais Sébastien Samson-Thibault est daltonien de naissance, ce qui ne l’a pas empêché d’occuper un poste de pompier à Rivière-du-Loup depuis 2009. Il s’est d’ailleurs hissé au rang de chef aux opérations de ce service.

Devant le Tribunal des droits de la personne, il a expliqué en long et en large comment il avait développé des moyens de comprendre son environnement malgré son daltonisme, en se fiant à la position ou à l’intensité d’un témoin lumineux plutôt qu’à sa couleur, par exemple. Le pompier a ajouté que malgré ses difficultés à le faire, il avait tout de même une certaine capacité à distinguer le rouge du vert.

Le rejet de la candidature de M. Samson-Thibault s’appuie sur « des idées préconçues qui associent, à tort, l’incapacité d’une personne à distinguer parfaitement les couleurs à un handicap insurmontable, sans égard à ses capacités réelles et à sa faculté d’y pallier par des moyens compensatoires développés avec l’expérience », a conclu le juge Brunelle.

110 000 $ d’indemnité

Seule solution, selon le juge Brunelle : ordonner à la Ville de Québec d’offrir un emploi de pompier à Sébastien Samson-Thibault et lui rembourser la différence entre le salaire qu’il y aurait fait depuis 2015 et le salaire qu’il a touché à Rivière-du-Loup.

Tout indique qu’il disposerait déjà d’un tel poste s’il n’avait pas été victime de discrimination en 2015.

Extrait du jugement rendu par Christian Brunelle

En plus de la différence salariale, la Ville devra verser 10 000 $ à l’homme pour l’impact psychologique suscité par son rejet. « M. Samson-Thibault a vécu très difficilement son exclusion du processus de sélection, a noté le tribunal. Il s’est sérieusement remis en question, ébranlé à l’idée qu’il puisse constituer un danger pour les autres alors que sa mission première vise à les en préserver. Sa confiance en lui-même en a été affectée. »

Total : 110 000 $.

Mercredi, la Ville de Québec n’a pas voulu indiquer si elle comptait porter le jugement en appel.

« La Ville prend acte du jugement dans ce dossier et analysera les prochaines étapes à venir, a indiqué la porte-parole Karine Desbiens. Elle ne commentera pas davantage la situation. »

Joint à Rivière-du-Loup, Sébastien Samson-Thibault a lui aussi réservé ses commentaires. « Je vais attendre vu qu’ils ont 30 jours pour faire appel », a-t-il dit. Il était représenté par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.