(Joliette) Éric Rondeau n’a jamais regardé devant lui au moment de contourner une famille de canards dans une courbe pour leur « sauver la vie ». Il avait plutôt les yeux rivés sur le trafic arrière. C’est donc sans le vouloir qu’il s’est retrouvé en sens inverse dans une courbe au moment où un motocycliste arrivait.
« J’ai fait une erreur. Il est arrivé un accident. Quelqu’un est mort ce jour-là. Je ne le conteste pas », a conclu Éric Rondeau, lundi, au terme d’un contre-interrogatoire serré.
L’homme de 47 ans témoignait pour sa défense à son procès devant jury au palais de justice de Joliette. Il est accusé d’avoir causé la mort d’un motocycliste de 19 ans, Félix-Antoine Gagné, en conduisant de façon dangereuse sur la route 345, le 22 juillet 2019, à Sainte-Élisabeth, dans Lanaudière.
Une vidéo présentée au jury pendant le procès montre la camionnette F-150 de l’accusé s’arrêter pendant plusieurs secondes pour laisser traverser une famille de canards. On voit ensuite la camionnette rouler « complètement » dans la voie inverse à 18 km/h dans les instants précédant la collision fatale. C’est cette manœuvre qui représente une conduite dangereuse, selon la Couronne.
Ce matin-là, Éric Rondeau était parti de son chalet de La Tuque et se dirigeait vers Sainte-Mélanie pour rapporter la remorque de ponton qu’il traînait. Il devait ensuite se rendre dans l’ouest de Montréal pour dresser son inventaire. Agronome de formation, l’accusé travaillait comme représentant des ventes pour un terrain de golf et ratissait le Québec dans le cadre de son travail.
Éric Rondeau roule en ligne droite sur la route 345. La vitesse maximale passe de 90 km/h à 70 km/h. À l’approche de la courbe, il aperçoit des canards traverser le chemin. Il vérifie dans ses rétroviseurs et freine « brusquement », puisque les autos sont « loin » derrière lui. Il active ses feux d’urgence et s’immobilise plusieurs secondes.
Toutefois, les canards « hésitent » à avancer. Éric Rondeau sent alors « l’étau se resserrer » et la situation « s’aggraver de seconde en seconde ».
« Je suis conscient que c’est dangereux où je suis arrêté, derrière moi du trafic s’en vient à haute vitesse. J’ai une remorque derrière moi. En sens inverse, je ne vois rien arriver dans la courbe », raconte-t-il.
À ce moment, il ne peut « plus » rester en place. Il se dit même prêt à « écraser les derniers canards » pendant sa manœuvre de contournement. Il est toutefois « hors de question » de traverser la ligne médiane.
« C’est trop dangereux », dit-il. Son but est alors de « frôler la ligne » en restant dans sa voie pour « sauver la vie des canards, si possible ».
Pourtant, c’est directement en sens inverse que le mène sa manœuvre de contournement. « En levant mes yeux, je suis rendu de l’autre côté. Je suis paniqué, j’ai peur. C’est dangereux. Tout de suite, je corrige, mais dans la même fraction de seconde, je vois la moto qui arrive », raconte-t-il.
« Je constate que je suis de l’autre côté, je me dis : “Crisse, je suis de l’autre bord !”Tout se passe extrêmement rapidement », poursuit Éric Rondeau.
En contre-interrogatoire, l’accusé admet avoir fait la manœuvre de contournement des canards sans même « regarder en avant ». Une manœuvre qui a pourtant duré 11 secondes. Éric Rondeau était si préoccupé par la possibilité d’une collision derrière lui qu’il fixait ses rétroviseurs arrière.
Éric Rondeau assure que sa vision arrière n’était pas gênée, même si sa camionnette était encombrée de matériel de travail et que ses vitres étaient teintées. Il soutient par ailleurs qu’il avait l’impression de conduire un « paquebot » en traînant une longue remorque de ponton.
Le procureur de la Couronne, Me Alexandre Dubois, a plutôt suggéré à l’accusé qu’il était « tanné d’attendre devant les canards » et qu’il avait « pris une chance ». Une version rejetée par l’accusé. « Non, je n’étais pas tanné d’attendre », a-t-il assuré.
Trois ans plus tard, Éric Rondeau confie avoir « beaucoup de compassion pour les parents » de la victime. « J’y pense tout le temps quand mes enfants partent pour l’école », a-t-il dit avec émotions. Il est défendu par Me Richard Dubé.
Le procès se poursuit mercredi avec les plaidoiries.